New York, années 1980 : la photographe Sophie Bramly shoote sans relâche, et parfois dans l’intimité, les futures stars de ce qui va devenir un mouvement culturel mondial. Et rend compte de l’émergence du phénomène hip-hop. Ses photos sont réunies dans un livre, “Walk This Way”.
A l’heure où le rap s’impose comme la langue vivante 1 de la musique mondialisée sort un livre qui raconte les origines d’une culture autrefois très locale. Son auteure, la Française Sophie Bramly, a photographié, au début des années 1980, l’éclosion de la scène hip-hop alors adolescente et informelle, dans le Bronx, à New York. « Ces photos ne sont pas un catalogue du passé, mais le reflet des réactions de centaines d’adolescents à une situation sociale complexe », indique-t-elle dans l’avant-propos de son livre Walk This Way.
A l’époque, elle photographie comme ses sujets dansent, rappent, scratchent ou graffent, sans cerner la portée du miracle qui se produit. Les gens connus (les DJ Grandmaster Flash et Afrika Bambaataa, le graffeur Futura 2000, les rappeurs de Run-DMC…) ou pas qu’elle côtoie se laissent immortaliser dans leur chambre à coucher, dans le salon avec leurs parents, ou assis dans le métro.
Issus d’un quartier dans un état de pauvreté et de délabrement extrêmes, les jeunes Noirs et Latino-Américains qui y vivent alors adoptent des styles exubérants, entre héritage glam-funk, visions futuristes et sportswear du ghetto. Mais surtout, ils fêtent une forme mutante de folklore, à la fois verbal, sonore, pictural et chorégraphique. Plus de trente ans plus tard, cette insurrection artistique de quartier est devenue une industrie culturelle globale qui dépasse – au moins sur le plan symbolique – la puissance du rock. D’aucuns critiquent sa prétendue dégénérescence matérialiste et la perte de ses vertus politiques. Peut-être devraient-ils se demander, en parcourant Walk This Way, si ce « matérialisme », notamment vestimentaire, n’était pas en germe dès les balbutiements du mouvement. Et si, chez des gens qui naissent dans des immeubles régulièrement incendiés par des propriétaires désireux de toucher l’assurance, il ne pourrait pas même s’appeler plus justement « dandysme ».
1970 : Herbie Hancock en concert avec D.St
Le livre de Sophie Bramly rappelle également le rapport privilégié du hip-hop naissant à la France. Envoyée sur place par Jean-François Bizot, génial patron du magazine Actuel, elle-même a contribué à cette relation fraternelle. Peut-être le défunt fondateur de Radio Nova et son acolyte Bernard Zekri, alors journaliste et patron du label Celluloïd – qui sortira le premier disque de rap en français –, avaient-ils senti que cette musique de l’avant-garde des classes laborieuses allait séduire le public de l’Hexagone.
Après cette expérience originelle, Sophie Bramly a contribué à la fondation de MTV Europe et présenté sur cette chaîne l’émission-culte « Yo ! MTV Raps ». Elle a ensuite travaillé pour l’industrie musicale en France avant de se reconvertir, il y a dix ans, dans la réalisation et la production de cinéma. Elle s’intéresse aujourd’hui aux questions du féminisme, de la sexualité et de l’empowerment. Soit à d’autres formes d’insurrection, pas moins vivaces.
Par Alexis Néel
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