L’Edito du Rezo
Le délit de presse s’inscrit, en théorie juridique, dans un régime d’exception strictement circonscrit par la loi pénale spéciale. Il ne peut être caractérisé qu’en présence d’éléments constitutifs précis — diffamation intentionnelle, injure publique, incitation directe à la violence ou atteinte démontrée à l’ordre public. En droit constitutionnel et en jurisprudence comparée, ces infractions font l’objet d’une interprétation restrictive, fondée sur la protection du débat d’intérêt général et sur la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Toute tentative d’élargissement de cette notion par voie administrative ou politique constitue une altération du droit et une remise en cause du pluralisme démocratique.
Le cadre constitutionnel haïtien est explicite. Les articles 28, 28-1 et 28-2 de la Constitution de 1987 garantissent la liberté d’expression, d’information et de presse comme droits fondamentaux opposables à l’État. Aucune autorité exécutive, a fortiori un pouvoir issu d’un arrangement politique fermé, dénoncé par une large frange de l’opinion comme un système d’entre-soi, ne peut imposer de restrictions à ces libertés en dehors du juge compétent. Le principe de légalité des délits et des peines interdit toute poursuite fondée sur des déclarations politiques, des communiqués administratifs ou des lectures opportunistes du droit.
La question devient encore plus sensible lorsque l’exécutif en place fonctionne comme un régime de fait, sans fondement électoral et sans mécanismes effectifs de reddition de comptes. Les rapports officiels de l’Unité de lutte contre la corruption font état d’accusations graves : détournements de fonds publics, abus de fonction, irrégularités administratives majeures et recommandations de poursuites pénales visant des responsables de l’État. En droit public, un pouvoir ainsi mis en cause par un organe constitutionnel de contrôle ne peut simultanément prétendre exercer une autorité régulatrice sur ceux qui diffusent ces informations. La transparence et l’accès à l’information prennent alors une valeur constitutionnelle accrue.
La presse indépendante se trouve, dans ce contexte, investie d’une fonction de vigilance institutionnelle, en substitution à des contre-pouvoirs neutralisés. Assimiler l’enquête journalistique à un délit de presse revient à déplacer illégalement la responsabilité : l’exécutif n’est plus tenu de répondre de ses actes devant la loi, tandis que le journaliste serait sommé de justifier l’exercice d’un droit garanti. Une telle construction est incompatible avec l’État de droit et traduit une dérive juridique caractéristique des pouvoirs fragilisés : l’instrumentalisation du droit à des fins de dissuasion politique. La liberté de la presse ne procède ni d’une concession ni d’une tolérance du pouvoir ; elle s’impose à lui, y compris lorsque sa légalité et son intégrité sont publiquement contestées.

