Il est des moments dans l’histoire d’une nation où le mensonge ne peut plus tenir lieu de politique, ni la corruption de gouvernance. Haïti, aujourd’hui, en est l’exemple le plus tragique. Le Conseil Présidentiel de Transition, censé être l’instrument du retour à la légitimité démocratique, se retrouve lui-même enlisé dans des scandales de corruption qui sapent le peu de confiance qu’il restait dans les institutions. Pendant ce temps, trois départements du pays sont entièrement livrés aux gangs armés, et la capitale, Port-au-Prince, vit sous leur joug à près de 80 %.
Dans ce contexte, parler d’élections relève moins du projet politique que de la fiction. Comment imaginer des scrutins libres et transparents dans un pays où l’État n’exerce plus aucune autorité sur la majorité de son territoire ? Comment garantir la sécurité des électeurs quand la peur règne dans les rues, quand les chefs de gangs imposent leur loi, leur impôt, leurs tribunaux ? Et surtout, comment prétendre organiser des élections crédibles sous la houlette d’un pouvoir transitoire déjà discrédité par la suspicion et le scandale ?
La démocratie n’est pas un rituel électoral. Elle repose sur des institutions fortes, une justice indépendante, un appareil d’État impartial et un minimum de confiance entre gouvernants et gouvernés. Or, en Haïti, ces fondations sont pulvérisées. Les nominations politiques se négocient, la transparence est inexistante, et la lutte contre la corruption se réduit à des discours sans lendemain. Ce n’est pas la date du scrutin qui déterminera la crédibilité des élections, mais la volonté du pouvoir de se réformer avant de prétendre organiser un vote.
Il serait irresponsable, pour la communauté internationale comme pour les acteurs haïtiens, de pousser à des élections précipitées dans ce chaos. Car des élections sans intégrité ne produisent qu’une chose : la légitimation du désordre.
Haïti a besoin d’une rupture morale avant d’espérer un renouveau politique. Le courage politique ne réside pas dans l’annonce d’un calendrier électoral, mais dans la capacité à dire la vérité : aucune élection ne sera crédible tant que le pouvoir restera gangrené par la corruption et que la peur règnera dans les rues.
La démocratie ne se décrète pas, elle se mérite. Et Haïti mérite mieux que le simulacre qu’on lui prépare.
Elensky Fragelus

