L’image du conseiller présidentiel Leslie Voltaire arpentant le camp dit Colombie, accompagné de l’ambassadrice de Colombie Vilma Rocio Velázquez Uribe et du directeur du FAES, Serge Gabriel Colin, dépasse la simple visite de courtoisie. Elle s’impose comme une scène d’une éloquence brutale : celle d’un État qui, pour témoigner de la détresse de son peuple, éprouve le besoin de se faire escorter par un représentant étranger. Le geste, annoncé comme humanitaire, devient un acte de représentation diplomatique où la misère nationale sert de décor à la rhétorique de la coopération.
Cette confusion entre solidarité et tutelle illustre une dérive structurelle de la gouvernance haïtienne. À défaut de politique publique durable, l’exécutif s’abrite sous le parapluie humanitaire. Distribuer des kits alimentaires ou sanitaires dans un camp de déplacés ne constitue pas une politique, mais une parade symbolique. L’État se montre compatissant à travers la médiation de l’autre, comme s’il fallait l’œil étranger pour attester de son humanité. La compassion se fait spectacle, la pauvreté devient langage diplomatique.
Dans cette mise en scène, la présence colombienne n’est pas neutre. Elle s’inscrit dans une logique de visibilité internationale : manifester, sous le regard d’un partenaire latino-américain, une capacité à agir, même minimale. Or cette visibilité s’épuise aussitôt que l’on confronte la scène à la réalité : absence de plan de relogement, silence sur la sécurité des zones d’origine, abandon administratif des déplacés. L’humanitaire supplée à la défaillance de l’État, et la diplomatie s’y installe, comme pour en bénir l’impuissance.
Peut-être, derrière cette apparente cordialité bilatérale, Leslie Voltaire voulait-il aussi adresser un message indirect à Washington : prouver qu’ Haïti ne nourrit aucune hostilité régionale, notamment envers la Colombie, partenaire privilégié des États-Unis. Mais cette lecture géopolitique ajoute au malaise. Car s’il faut exhiber la misère pour prouver sa loyauté diplomatique, alors la souveraineté ne s’exerce plus, elle se quémande.
Ce tableau, à la fois pathétique et révélateur, ramène à une vérité amère : le pouvoir haïtien n’habite plus son propre territoire symbolique. Il le visite, entouré de témoins étrangers, comme on visite un champ de ruines. Et tant que cette mise en scène tiendra lieu d’action publique, la pauvreté continuera d’être administrée comme un spectacle dont l’État n’est plus l’auteur, mais le figurant.
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