Résumé
Cet article, analyse les défaillances structurelles de l’ONA. Un système de retraite affaibli par le manque de transparence et une gestion des fonds risquée qui inquiètent les salariés haïtiens. L’ONA, est vivement critiquée pour la vulnérabilité de ses actifs face aux « prêts flottants » politisés, et pour un modèle d’investissement qui manque de la prudence observée dans la région. L’article souligne également, la partialité du système qui verse des pensions dérisoires, et le vide juridique qui pénalise les travailleurs qui changent de statut en bloquant leurs cotisations. Face à cette situation, l’article conclut à la nécessité d’une réforme immédiate axée sur l’automatisation, la modernisation des calculs et la portabilité des droits pour rétablir la confiance et pour garantir une retraite digne et sans ambages.
1. Le manque de transparence et le flou institutionnel
La première pierre d’achoppement, est le flou institutionnel. En effet, pour des milliers assurés, cela signifie que la politique de pension et le barème de calcul restent une devinette. Le Barème de calcul devient une devinette, puisqu’à l’heure l’ONA (Office d’Assurance de Vieillesse) ne communique pas clairement le tarif qui lui permet de déterminer le montant de la pension en fonction d’une grille salariale disponible et bien établie. En réalité, il n’est pas question d’une grille salariale improvisée, mais une grille qui doit prendre en compte le salaire des différentes catégories de ses assurés. À ce sujet, comment un assuré peut-il planifier sa retraite sans pouvoir vérifier l’équité du barème de calcul ? Ce point d’obscurité, peut empêcher les assurés à faire des projections financières à long terme. Ce qui peut transformer la retraite vraisemblablement en une loterie administrative. Un problème de transparence, sans nul doute.
1.1. Un système de retraite sous-dimensionné et inéquitable
Bien qu’il soit difficile d’accéder aux statistiques officielles et actualisées pour l’exercice 2024-2025, les dernières données publiques disponibles pour les années 2017/2018, projettent un tableau de retraite sous-dimensionné et considérablement inéquitable. En effet, le nombre de pensionnés recensés, seulement 4 896 jusqu’en décembre 2017, semble être très faible au regard de la population active du secteur formel haïtien. En outre, l’opulence des 589 demandes de pension reçues pour le département de l’Ouest en 2017, insuffle une forte demande non satisfaite et, par conséquent, un arriéré important de dossiers en attente. Ce qui est plus inquiétant encore, c’est l’injustice du système en ce qui a trait au montant des pensions versées. Malgré un ajustement annoncé en 2025, la majorité des allocations variait malheureusement entre 500 et 6 000 Gourdes avec 60 % des pensionnaires qui percevraient le montant minimum de 500 Gourdes. Ce faible niveau, confirme la revendication des assurés pour un « chèque de pension plus juste. Ces données montrent que l’ONA fait face à un vrai défi structurel. La raison, c’est que le secteur informel n’est généralement pas couvert, même si l’établissement tente de développer sa portée par des programmes spécifiques: ONAFANM et ONA-POLIS.
3. De la mauvaise gestion des fonds et des risques
Généralement, la plus grande inquiétude, réside dans la gestion même du capital des assurés. Pour ce faire, les fonds de pension doivent pouvoir être gérés avec la plus grande prudence afin de garantir la croissance et la disponibilité ultérieure. Or, cette forme de gestion donne l’air de préférence à un détournement vocationnel. En fait, le témoignage des uns et des autres selon lequel : « les prêts sont prétentieusement accordés à des personnalités politiques et de grands hommes d’affaires qui ne remboursent même peut-être pas », constitue encore une plainte de taille. De ce fait, si ces allégations sont fondées, cela sous-entendrait que le capital des travailleurs est utilisé comme des fonds de roulement à risque pour des intérêts particuliers. A vrai dire, cette mauvaise gestion des risques, exposerait immédiatement la solvabilité future des fonds de pension. Alors que le principe foncier d’une caisse de retraite, est que les cotisations (les 12%) constituent un capital de réserve pour les assurés. Par conséquent, ces fonds ne devraient servir, en aucun cas, à financer des projets gouvernementaux ou des prêts non-garantis à des particuliers. Cet argent doit donc être disponible et géré exclusivement pour les assurés.
3.1. Des « prêts flottants » et du favoritisme politique
Ici, il faut noter que les fonds des cotisants, ne sont pas menacés uniquement par une mauvaise stratégie de placement, mais aussi par une gestion des prêts obscure et politisée. Des rapports des organisations de la société civile et des articles de presse, ont habituellement mis en lumière le danger qui pèse sur les fonds de l’ONA en pointant du doigt à la pratique des « prêts flottants ». C’est-à-dire, des prêts qui ont été permis, mais restent non- honorés pour des raisons politiques ou des liens amicaux. En effet, ces types de prêts, souvent accordés à des personnalités politiques, à des affiliés de l’État et à des entrepreneurs proches du pouvoir, comme mentionné plus haut, transgressent aux règles de prudence financière et, le plus souvent, ne seraient jamais remboursés.
En complément, un rapport de vérification de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), auraient déjà relevé des irrégularités majeures notamment quant à l’octroi de prêts hypothécaires en violation des décrets en vigueur. Cette mauvaise gestion des financements et des prêts, dictée par des motifs politiques, est la raison essentielle pour laquelle la caisse de retraite des travailleurs demeure structurellement vulnérable.
3.2. De la faiblesse structurelle du modèle ONA Face aux standards régionaux
Une analyse comparative des fonds de pension dans les Caraïbes et les économies émergentes, révèle l’impératif d’une gestion prudentielle et diversifiée de sorte à pouvoir garantir la sécurité des actifs des cotisants. Or, la gestion des fonds de l’ONA, dévoile une dissemblance avérée avec ces modèles. Pourtant, les régimes régionaux (… Jamaïque, République Dominicaine), se soutiennent sur une allocation stratégique des actifs en y incluant des obligations souveraines stables et des investissements sur des marchés financiers diversifiés pour arriver à maximiser le rendement à long terme. L’ONA de son côté, afficherait une forte concentration sur les prêts domestiques et des placements à faible rendement dans les banques locales. En plus, cette gestion est exposée à la volatilité et au favoritisme politique, comme l’attestent les irrégularités relevées par la CSC/CA et le problème des « prêts flottants » non remboursés. C’est pour cette raison, la principale faiblesse du modèle haïtien demeure dans cette faible diversification et la simultanéité d’une gestion discrétionnaire des prêts. L’ONA, en se focalisant beaucoup trop sur les prêts à la consommation (ONAPAM) et le crédit hypothécaire, exposerait de manière critique la caisse de retraite aux risques de crédit domestique élevés. La leçon tirée de la région, est donc sans appel. Car, la sécurité des fonds de pension, devrait être reposée sur sa capacité à s’isoler des pressions politiques et de l’étroitesse des marchés locaux. Cet isolement, est conditionné à des cadres réglementaires stricts qui feraient malheureusement défaut actuellement en Haïti.
4. Le statut du transfuge en tant qu’un vide juridique précaire
Bien que l’ONA (Office National d’Assurance-Vieillesse) et la CAP (Caisse Autonome des Pensions de la Fonction Publique) soient les deux piliers de l’assurance-vieillesse, ces régimes fonctionnent sur le principe d’incompatibilité. Car, ils sont régis par des lois distinctives avec des conditions d’éligibilité différentes (ONA : 55 ans et 20 ans de cotisations minimum ; CAP : 58 ans et 5 ans de service minimum). Dans cette circonstance particulière, aucune loi spécifique n’a été identifiée pour permettre la portabilité. C’est-à-dire, le transfert direct des cotisations d’un assuré passant de l’un à l’autre.
En effet, pour un cotisant de l’ONA qui devient fonctionnaire public, le seul mécanisme légal de sortie existant, est la restitution de cotisations. Toutefois, celui-ci est conditionnel. C’est-à-dire, il est limité à l’incapacité au travail, au décès ou au départ définitif pour les étrangers. Ce qui ne s’applique pas au transfuge actif. Dès lors, en l’absence d’un accord bilatéral ou d’une loi de portabilité, les années de cotisations versées par les travailleurs dans le régime de l’ONA, se retrouvent bloquées et improductives tout en forçant l’assuré à attendre l’âge de la retraite ONA pour les réclamer, sans qu’elles puissent être fusionnées avec ses droits à la CAP. C’est pourquoi une clarification et l’établissement d’un mécanisme de jonction des droits, est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour garantir l’équité sociale.
5. Recommandations pour la réforme du système de l’ONA
- Mettre en place une communication institutionnelle claire et transparente sur les règles de cotisation, le calcul des pensions et l’accès aux services (notamment les politiques de prêt) afin de pouvoir éliminer le clientélisme et l’incertitude.
- Rendre le processus de retraite automatique dès que l’assuré atteint le nombre d’années de cotisation et/ou l’âge requis de telle sorte à pouvoir mettre fin au système administratif excessivement lent et rigide.
- Garantir l’équité sociale en offrant aux employés du secteur privé et des ONG, un traitement « au même titre que la pension des fonctionnaires publics ».
- Assurer un chèque de pension juste reflétant la réalité du solde du cotisant.
- Moderniser la méthode de calcul pour qu’elle se base sur la moyenne du salaire des 3 derniers postes occupés. Ce, afin que la pension soit proportionnelle au niveau de vie atteint en fin de carrière.
- Poursuivre les audits publics sur la gestion des fonds afin de pouvoir identifier et corriger les failles.
- Proposer des mécanismes de portabilité des droits (pension anticipée ou restitution du montant global des cotisations) pour les assurés qui change de régime ou quittent le secteur avant l’heure, et/ou établir un accord bilatéral (ONA/CAP) pour faciliter le transfert de fonds des assures de l’ONA qui intègrent la fonction publique.
- Centraliser et automatiser le suivi des cotisations par l’ONA en évitant de demander aux travailleurs de fournir des preuves de paiement. Une démarche illogique lorsque les employeurs peuvent avoir quitté le pays.
6. Conclusion
Les salariés du secteur privé et des ONG, paient leur dû. Néanmoins, ils n’ont aucune garantie que leur argent sera disponible au moment de la retraite. Pour enlever cette non-confiance, l’ONA doit faire une meilleure gestion de leur argent : une restitution claire en cas de changement de statut ou de pays et une retraite sans litige et sans ambages. L’ONA, en sa qualité d’institution garante de l’assurance-vieillesse en Haïti, doit assumer sa responsabilité incontestable de rétablir la confiance de ces assurés. C’est pourquoi, il est temps de passer de l’opacité à la prudence institutionnelle certaine. Au-delà de l’opacité des calculs et des allégations de mauvaise gestion des fonds, le système endure d’un vide juridique lumineux. L’absence d’un mécanisme de portabilité des droits entre l’ONA et la Caisse Autonome des Pensions (CAP), pénalise des milliers de professionnels. Les travailleurs qui quittent le secteur privé pour intégrer la fonction publique, voient leurs cotisations ONA bloquées et improductives, incapables de les joindre à leur nouveau régime. Avec moins de 5 000 pensionnés recensés, selon les derniers rapports publics, l’ONA doit prouver qu’elle est capable de sécuriser les fonds de l’ensemble du secteur formel. Jusqu’à quand les cotisants devront-ils s’inquiéter pour leur avenir, pendant que leurs fonds sont potentiellement mis en péril ? L’heure n’est donc plus à l’attente, mais à la réforme immédiate capable de garantir aux travailleurs haïtiens le droit fondamental à une retraite digne et sécurisée.
Dr. Noël AGELUS, Ph.D.

