Port-au-Prince se réveille au son des rafales. Dans les ruelles de Cité Soleil ou de Delmas, les cris d’enfants se confondent avec les détonations. Certains ne savent pas s’ils atteindront l’école. D’autres ne savent même plus où elle se trouve.
« Les enfants en Haïti se lèvent chaque jour sans savoir s’ils pourront aller à l’école en sécurité, trouver de quoi se nourrir, ou simplement survivre à la journée sans être touchés par une balle perdue », a résumé mardi Roberto Benes, responsable de l’UNICEF pour l’Amérique latine et les Caraïbes, lors d’une conférence de presse à New York.
Les trois quarts des enfants dépendent de l’aide
Selon l’agence de l’ONU pour chargée de la protection de l’enfance, plus de 3,3 millions d’enfants ont aujourd’hui besoin d’une assistance humanitaire : trois sur quatre dans tout le pays. Les chiffres s’accumulent, vertigineux : 680 000 enfants déplacés, souvent plusieurs fois ; 1 600 écoles fermées ou détruites ; des hôpitaux attaqués ou à l’arrêt. « Ce ne sont pas que des chiffres », a insisté M. Benes. « Ce sont des vies brisées, des enfances volées, des avenirs effacés ».
La guerre des gangs armés, qui contrôle près de 80 % de la capitale, a déchiré le tissu social haïtien. Le recrutement forcé d’enfants a explosé : jusqu’à la moitié des membres de groupes armés seraient aujourd’hui mineurs, parfois âgés d’à peine dix ans.
La faim et la maladie comme seconde menace
La violence n’est pas la seule ennemie. Dans les quartiers coupés du reste du pays, plus de 1,2 million d’enfants de moins de cinq ans vivent dans des zones de faim aiguë, exposés à la malnutrition.
Dans les camps de fortune, l’eau contaminée alimente choléra et diarrhée. À Port-au-Prince, Roberto Benes raconte sa visite d’un site de déplacés : 7 000 personnes entassées, sans assainissement ni eau potable.
Mais au cœur du chaos, il dit avoir trouvé « des exemples d’espoir et de résilience » : des professeurs qui enseignent dans des abris de fortune, des médecins qui opèrent « avec le strict minimum », des familles qui refusent d’abandonner l’école à leurs enfants.
« Haïti est à un point de rupture »
Pour alerter la communauté internationale, l’UNICEF a publié le 6 octobre un rapport intitulé « SOS Enfants : Les enfants en Haïti face à une polycrise ».
« Ce n’est pas un rapport de plus », a expliqué M. Benes, « mais un appel à l’action fondé sur des données, qui met en lumière l’une des crises les plus urgentes et les plus négligées au monde ».
L’objectif : rompre la fatigue du monde et rappeler que ce qui arrive aux enfants d’Haïti n’est pas une tragédie lointaine, mais une responsabilité partagée. L’agence onusienne demande un accès humanitaire sécurisé, une augmentation immédiate des financements, la protection des enfants déplacés et la reconstruction des services essentiels : santé, éducation, eau, assainissement.
« Haïti est à un point de rupture », a averti le responsable humanitaire. « L’avenir d’une génération entière est en jeu ».
Vers une nouvelle force internationale
Interrogé sur le feu vert donné, le 2 octobre, par le Conseil de sécurité de l’ONU au déploiement d’une mission internationale dite Force de répression des gangs (FRG), Roberto Benes reconnaît que « l’insécurité est à la racine même de l’instabilité du pays ». Cette mission non onusienne, qui comptera 5.500 soldats et policiers fournis par les États membres des Nations Unies sur une base volontaire, devrait prochainement prendre le relais de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya.
Mais, prévient M. Benes, « un certain nombre de membres de ces groupes armés sont des enfants et des adolescents ». Leur recrutement a augmenté de 70 % en à peine un an. L’UNICEF insiste pour que toutes les troupes déployées soient formées à la protection de l’enfance et au respect du droit humanitaire, afin que « les enfants ne soient pas victimes collatérales » des opérations à venir.
Car dans la rue comme dans les camps, les enfants haïtiens grandissent sous la menace. « Il faut agir maintenant pour leur rendre leur sécurité, leurs écoles et leur avenir », a conclu M. Benes.