14 octobre 2025
Haïti : un « budget de guerre » en année électorale, sans mordant
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Haïti : un « budget de guerre » en année électorale, sans mordant

Par Patrick Prézeau Stephenson*

 Le gouvernement de transition d’Haïti a approuvé un budget national 2025–2026 censé financer une « guerre » contre les gangs et permettre la tenue d’élections nationales attendues depuis des années. Mais, selon les documents budgétaires, la composition des dépenses et les choix de financement du paquet de 345,5 milliards de gourdes laissent penser que l’effort de sécurité pourrait manquer de puissance, alors même que les charges d’intérêts s’envolent et que l’aide extérieure s’étiole.


Figure 1 : L’enveloppe budgétaire augmente de 6,8 % par rapport au rectificatif 2024–2025

Adopté le 9 octobre en Conseil des ministres, le plan relève les dépenses totales de 6,8 % par rapport au budget rectificatif 2024–2025. Les dépenses courantes grimpent à 213,6 milliards de gourdes, soit près de 62 % du total, tandis que les dépenses d’investissement — souvent l’épine dorsale de la mobilité, des équipements et des infrastructures pour la sécurité et les services — reculent de 4,9 %.

Les autorités affirment orienter les crédits vers trois objectifs : restaurer la sécurité publique, organiser des élections et stabiliser l’économie. Le gouvernement s’engage aussi à éviter le financement monétaire par la banque centrale, une mesure destinée à contenir l’inflation, projetée à 23,4 % en fin d’exercice. La croissance réelle est prévue à seulement 0,3 %.

Un « budget de guerre » — de nom plutôt que de fait Le communiqué gouvernemental énumère des priorités compatibles avec la reconquête et la sécurisation du territoire : réhabilitation de commissariats, renforcement des effectifs de la Police nationale d’Haïti (PNH) et des Forces armées d’Haïti (FAD’H), et acquisition d’équipements modernes. Pourtant, les postes budgétaires qui soutiennent habituellement ce type d’opérations racontent une autre histoire.

Les dépenses de biens et services — un agrégat qui englobe carburant, maintenance, pièces détachées, logistique et de nombreuses charges essentielles aux opérations — progressent de 6,8 % à 65,9 milliards de gourdes, une hausse nominale qui a de fortes chances de rester inférieure à l’inflation. Les dépenses d’investissement baissent à 131,9 milliards de gourdes, les crédits programmes/projets reculant de 3,7 %. Concrètement, ce mix risque de laisser les forces de sécurité et la chaîne pénale à court de capacités de mobilité, de communications, de police scientifique et de détention nécessaires à des opérations durables.

Les charges d’intérêts s’envolent à mesure que l’État s’endette sur le marché domestique Le changement le plus spectaculaire concerne le service de la dette. Les intérêts versés sont multipliés par plus de cinq, passant de 1,23 milliard à 7,50 milliards de gourdes — soit +510 % — à mesure que le Trésor recourt davantage aux marchés locaux. Les émissions nettes de bons du Trésor sont fixées à 29,2 milliards de gourdes, en hausse de 16,7 %. Ce choix évite la création monétaire, mais il rétrécit l’espace budgétaire disponible pour la sécurité et le social, tout en accroissant les risques de refinancement et de taux.

Les financements extérieurs reculent ; l’effort fiscal s’affaiblit Les dons et emprunts chutent de 10,9 % à 63,2 milliards de gourdes, ce qui accroît les risques d’exécution dans une année où les besoins de trésorerie vont culminer pour la sééurité et les élections. Les recettes courantes devraient progresser de 11,9 % à 243,5 milliards de gourdes, tirées par les douanes et l’administration fiscale. Mais le gouvernement reconnaît une baisse de la pression fiscale à 4,3 % du PIB — un niveau exceptionnellement faible qui souligne l’érosion de l’assiette et du recouvrement dans une économie éprouvée.

Des dépenses électorales promises — mais pas pleinement détaillées L’exécutif assure que l’ensemble du cycle électoral sera financé via un « Basket Fund » alimenté domestiquement et que le budget national prendra en charge le fonctionnement du Conseil électoral. Les transferts et subventions bondissent de 43,3 % à 28,1 milliards de gourdes, un poste qui héberge vraisemblablement une partie de ces coûts ainsi que d’autres programmes sociaux.

Ce qui manque, ce sont des enveloppes explicites, des calendriers et des garde-fous — autant d’éléments qui aident à prévenir les déficits et les fuites en année électorale, surtout dans un contexte d’insécurité. La sécurisation de la logistique, la formation des agents électoraux et la protection des bureaux de vote exigeront une coordination serrée avec le plan de trésorerie de la sécurité.

Des signaux de progrès… et de tensions Le budget envoie plusieurs signaux favorables à la stabilisation. Il vise un financement monétaire nul, entend moderniser l’administration fiscale et budgétaire et s’engage à un suivi territorial des investissements publics. Il préserve aussi les dépenses d’investissement sur Trésor, en hausse de 10,6 %, alors même que les projets financés sur ressources externes reculent.

Mais des incohérences de données brouillent le tableau. Le narratif évoque des « Autres financements internes des projets » à 6,9 milliards de gourdes ; le tableau budgétaire en indique 5,35 milliards — un écart d’environ 1,55 milliard qui fait écho à une ligne distincte d’« annulation de dette FMI » enregistrée à la fois en ressource et en dépense. De tels problèmes de classification compliquent les rapprochements et peuvent nuire à la surveillance publique.

Les chiffres derrière le plan

  • Ressources totales : 345,5 milliards de gourdes (+6,8 %)
  • Recettes courantes : 243,5 milliards (+11,9 %)
    • Administration fiscale (DGI) : 92,7 milliards (+11,0 %)
    • Douanes, hors pétrole : 113,0 milliards (+11,1 %)
    • Recettes pétrolières : 34,9 milliards (+16,8 %)
  • Dons et emprunts extérieurs : 63,2 milliards (–10,9 %)
  • Émissions nettes de bons du Trésor : 29,2 milliards (+16,7 %)
  • Dépenses courantes : 213,6 milliards (+15,6 %)
    • Personnel : 112,1 milliards (+≈9,7 %)
    • Biens et services : 65,9 milliards (+6,8 %)
    • Transferts/subventions : 28,1 milliards (+43,3 %)
    • Intérêts : 7,5 milliards (+510 %)
  • Dépenses d’investissement : 131,9 milliards (–4,9 %)

Épreuve d’année électorale

 Organiser un scrutin national en pleine offensive sécuritaire met à l’épreuve la capacité de n’importe quel État. Sur le papier, le budget d’Haïti va dans le bon sens, mais sa composition et ses coûts de financement pourraient saper les objectifs qu’il affiche — à moins que le gouvernement ne rééquilibre rapidement vers des opérations de sécurité et de justice frontales et anticipées, ne sanctuarise les dépenses électorales avec une forte supervision et ne stabilise l’endettement domestique à l’aide d’un calendrier d’émission clair.

Conclusion

Au final, la crédibilité du budget dépendra moins de la rhétorique que de l’exécution. Le gouvernement devra abonder les crédits de sécurité et de justice dès le début de l’exercice — et, tout aussi crucial, régler ces dépenses à temps. Il lui faudra publier un chiffrage détaillé du cycle électoral, accompagné d’un calendrier de décaissement qui protège la logistique et la formation des aléas de trésorerie. Côté financement, un calendrier transparent des bons du Trésor, allongeant les maturités et lissant les refinancements, signalerait une maîtrise de la hausse des coûts de la dette. La performance des recettes aux douanes et chez les grands contribuables dans les corridors hypothétiquement sécurisés offrira un test précoce de la reprise en main, par l’État, à la fois du territoire et de l’assiette fiscale. Des publications conciliées, alignant clairement ressources et dépenses — y compris toute reclassification des « autres financements internes » et des postes de dette — montreront si les chiffres soutiennent un plan capable d’assurer à la fois la sécurité et un scrutin crédible.

*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.

Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com

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Kilès nouye :  Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti

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