Un bilan très parlant pour le psychologue Edny PIERRE : une vocation, une lutte et une vision
Du 9 octobre 2017 au 9 octobre 2025, huit (8) années se sont écoulées depuis que nous avons embrasé avec ferveur notre mission de « vidangeur mental » au sein du SANT SANTE MANTAL MÒN PELE. Cette mission n’est pas un simple métier, mais un engagement viscéral envers la dignité humaine et notre communauté. Comme nous aimons le dire : « Le vidangeur mental » aide les gens à aller mieux dedans pour agir mieux dehors. »
Dès le départ, cette mission s’est imposée comme un ministère, un sacerdoce. Elle nous a appris que la souffrance psychique ne se traite pas uniquement par des protocoles, mais par une présence, une écoute attentive, une bonne alliance thérapeutique. C’est ainsi que, jour après jour, nous avons accompagné des personnes vivant avec des troubles mentaux, en leur offrant un espace de soin, de parole et de reconstruction.
Mais notre engagement ne s’est pas limité aux troubles mentaux. Très tôt, nous avons compris que l’épilepsie, souvent mal comprise et stigmatisée, nécessitait une approche globale. C’est pourquoi nous avons élargi notre champ d’action aux personnes épileptiques (en créole haïtien « moun ki soufri maladi Malkadi ») et à leurs familles. Cette conviction, nous l’avons défendue dans notre mémoire de licence en psychologie, sur la « Prise en charge psychosociale des épileptiques en Haïti : Cas du centre de santé mentale de Morne Pelé », présenté à l’Université d’État d’Haïti, Campus Henri Christophe, en février 2019 :
« L’épilepsie est une pathologie à la fois neurologique et psychosociale. Elle exige une prise en charge intégrée : médication, physiothérapie, psychoéducation, psychopédagogie, psychothérapie… »
Ce travail de terrain nous a confronté à une réalité brutale : en Haïti, les personnes atteintes de troubles mentaux ou d’épilepsie sont non seulement marginalisées, mais aussi privées de leurs droits fondamentaux. Elles subissent des discriminations, des violences, et trop souvent, une indifférence institutionnelle. Dans les prisons, par exemple, l’absence de services de santé mentale, la pénurie de professionnels qualifiés et le délabrement des infrastructures aggravent leur vulnérabilité.
Face à cette injustice, une évidence s’est imposée : il fallait aller plus loin. C’est ainsi que nous avons décidé d’étudier le Droit, afin de mieux comprendre les mécanismes juridiques et de défendre les personnes fragilisées par leur condition mentale. Ce chemin nous a conduit à rédiger notre mémoire de Licence en Sciences juridiques, soutenu en avril 2025 à l’Université d’État d’Haïti, Faculté de Droit, des Sciences et de Gestion du Cap-Haïtien :
« L’expertise mentale dans le procès pénal en Haïti : étude basée sur des dossiers pénaux au Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien de 2018 à 2024 ».
Ce mémoire n’est pas une simple recherche académique. Il est le prolongement naturel de notre engagement. Il traduit notre volonté de concilier la psychologie et le droit, pour que chaque citoyen, quelle que soit sa condition mentale, puisse bénéficier d’un traitement juste, humain et éclairé.
Ainsi, ces huit (8) années ne sont pas qu’un bilan. Elles sont le socle d’une vision : celle d’une Haïti où la santé mentale ne serait plus un tabou, mais un droit ; où les épileptiques ne seraient plus des exclus, mais des citoyens à part entière ; où le droit ne serait plus un outil de répression, mais un levier de protection.
« Le désir d’être utile nous anime. Mais c’est la volonté de transformer la société qui nous pousse à agir. »
Enfin, nous disons un grand merci à toute l’équipe du SANT SANTE MANTAL MÒN PELE, aux patients, aux aidants, aux collègues et aux amis. Ce chemin, nous l’avons parcouru ensemble. Et ce n’est que le début.
Kenson DEROSAN