8 octobre 2025
Les journalistes haïtiens sont-ils limités dans leurs capacités d’analyse ?
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Les journalistes haïtiens sont-ils limités dans leurs capacités d’analyse ?

La plupart des médias haïtiens semblent aujourd’hui en panne d’idées neuves. Depuis plus de trente ans, la presse se contente de critiquer sans réellement proposer. La monotonie s’est installée dans l’espace médiatique : pour être considéré comme un grand journaliste en Haïti, il ne semble plus nécessaire de maîtriser l’histoire, l’économie, le droit ou la sociologie. D’ailleurs, les acteurs politiques eux-mêmes, censés nourrir le débat démocratique, manquent souvent de profondeur intellectuelle. Ceux qui font un effort ne dépassent pas la récitation d’un discours stéréotypé, recyclé depuis des décennies, sans aucune mise à jour conceptuelle. Pendant que la société évolue, le discours public, lui, demeure figé. Même en période électorale, il suffit d’avoir mémorisé un discours creux pour prétendre à la présidence.

Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision, expliquait que les médias, lorsqu’ils cessent d’exercer leur fonction critique, deviennent des instruments de reproduction sociale plutôt que des moteurs d’émancipation. En Haïti, cette réalité est manifeste : la presse, au lieu d’être un espace de confrontation intellectuelle, se transforme en un théâtre d’opinions superficielles. Les leaders d’opinion ne sont plus des références académiques ; leurs analyses manquent de rigueur, leurs interventions de fondement théorique. De ce fait, les discours qui circulent dans la société sont souvent médiocres, désuets, incapables d’alimenter la pensée collective.

Or, comme le rappelle Jürgen Habermas dans L’espace public, la vitalité démocratique dépend de la qualité du débat public. Une société qui ne produit pas de pensée critique est condamnée à répéter ses erreurs. En Haïti, les médias n’élèvent plus le débat : ils le réduisent à un spectacle émotionnel où les cris remplacent les arguments, et où la recherche du sensationnel prend le pas sur la quête de vérité.

Aujourd’hui, ce sont les médias qui confèrent la notoriété politique. Il ne faut plus être un intellectuel ou un réformateur pour exister dans la sphère publique : il suffit d’être un provocateur, un professionnel du désordre, pour attirer l’attention des caméras. Comme le dirait Noam Chomsky, la logique médiatique actuelle ne vise plus à éclairer l’opinion, mais à la « fabriquer ». Ce n’est plus le savoir qui anime la vie politique haïtienne, mais le bruit et la confusion.

Une société sans porteurs d’idées neuves ne peut avancer vers la modernité. Ce sont les idées qui mènent le monde, et les grandes révolutions — de la Révolution française à celle d’Haïti — ont toujours été portées par des visions intellectuelles audacieuses. Frantz Fanon, dans Les damnés de la terre, affirmait que la libération d’un peuple commence par une décolonisation de la pensée. Haïti, aujourd’hui, a besoin de cette décolonisation mentale et médiatique.

Nous n’avons plus besoin de politiciens qui empoisonnent l’opinion publique avec des discours usés depuis plus de trente ans. Nous avons besoin de journalistes et d’intellectuels capables de renouveler les idées, de questionner les fondements du système, et de réveiller la conscience nationale. Ce sont les médias, plus que jamais, qui doivent faire sentir la nécessité d’une nouvelle Haïti — une Haïti éclairée, critique et tournée vers la modernité

Alceus Dilson, Communicologue,Juriste 

E-mail:Alceusdominique@gmail.com

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