L’Edito du Rezo
L’esclave affranchi de la République captive, 4 mois, le pays en « mode d’élection » ?
Le communiqué de la Présidence du 7 octobre 2025 se veut un acte de diplomatie, mais il sonne comme une provocation. À quatre mois de la fin de son mandat, le Conseil Présidentiel de Transition parle de « mise en mode élection » avec le sérieux d’un élève récitant un texte qu’il ne comprend plus. Quatre mois pour préparer un scrutin dans un pays sans institutions, sans sécurité, sans Conseil électoral credible (800 000 cartes doublons), sans confiance. C’est peu dire : la République est nue, mais on l’habille de promesses.
L’histoire haïtienne regorge de paradoxes, mais celui-ci a un goût amer. Voilà que l’ancien serviteur, l’esclave affranchi, se révèle plus sévère que le maître blanc. L’homme libéré des chaînes en forge de nouvelles, plus fines, plus locales, plus cruelles. Saint-Cyr et son équipe administrent la misère comme d’autres administraient la plantation. Le maître colonial a disparu, remplacé par un domestique qui règne avec la même suffisance, la même froideur. Et dans le miroir du pouvoir, la République captive contemple son geôlier qui se croit libérateur.
Laurent Saint-Cyr et son épouse, en visite officielle au Japon du 8 au 12 octobre, se rêvent empereurs d’une transition éternelle. Ils marchent dans les couloirs des palais étrangers comme s’ils y cherchaient l’onction du monde civilisé. Dessalines n’aurait pas parlé de “mode élection” à quatre mois d’un départ qu’il aurait déjà fixé dans le marbre. Lui, au moins, avait l’audace de dire non aux maîtres. Eux, ils multiplient les courbettes diplomatiques, confondant reconnaissance et reddition.
Pendant plus d’un an, le CPT n’a fixé ni date ni méthode, préférant se quereller pour des budgets de carnaval, des fonds d’information, ou les reliques du 18 mai et du 18 novembre. La République, comme la cigale du conte, a chanté tout l’été, et voici que l’hiver arrive. La fourmi – le peuple, la diaspora, ceux qui tiennent encore la maison debout – doit une fois de plus prêter sa sueur à ceux qui n’ont rien semé.
À Miami, devant la diaspora, Laurent Saint-Cyr ose dire qu’Haïti est « en mode élection ». Cette phrase seule suffirait à mesurer la distance entre l’État et la Nation. Elle révèle cette arrogance des élites qui croient que le simple fait de prononcer le mot “élection” suffit à en conjurer la réalité. Mais les Haïtiens ne sont pas dupes. Ils ont trop souvent vu la farce se rejouer : les promesses, les voyages, les sourires diplomatiques — tout cela pour masquer la vacuité du pouvoir.
Alors, oui, la question demeure. L’esclave affranchi est-il plus terrible que le maître blanc ? Peut-être. Car celui qui a souffert du joug et choisit malgré tout d’en reproduire les formes n’est plus seulement victime : il devient complice. Et la République, captive d’un cercle sans fin de transitions, attend toujours son véritable affranchissement.
