27 septembre 2025
Jeunisme, gérontocratie : vers une 3ᵉ voie haïtienne de responsabilité et de transformation
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Jeunisme, gérontocratie : vers une 3ᵉ voie haïtienne de responsabilité et de transformation

Par Ralf Dieudonné JN MARY 

On me demande souvent : « Tu es jeune, que peux-tu vraiment comprendre de la politique, de la responsabilité, de la direction d’un pays ? »

Comme si la jeunesse était une faute. Comme si les rides seules donnaient la légitimité.

En Haïti, on aime cataloguer. Tu es jeune ? Alors tu dois attendre. Tu es vieux ? Alors tu sais déjà tout. Mais la vérité est plus dure et plus simple : notre pays s’effondre non pas parce qu’il est trop jeune, ni trop vieux, mais parce qu’il est trop injuste. Parce qu’il refuse de juger les femmes et les hommes sur ce qu’ils valent vraiment.

Ce que Lyonel Trouillot a vu, et ce qu’il n’a pas dit.

Dans son texte « Ni Jeunisme ni Gérontocratie », Lyonel Trouillot a raison de rappeler que ni l’âge seul ni la jeunesse seule ne suffisent. Il a raison de dénoncer les deux excès : l’arrogance de croire que les jeunes peuvent tout par le simple fait d’être jeunes, et l’arrogance inverse qui croit qu’être vieux est déjà une preuve de sagesse.

Mais là où son texte s’arrête, le mien doit commencer. Car l’alliance entre générations dont il parle reste un vœu pieux si nous n’affrontons pas les humiliations réelles, les blocages concrets, les murs invisibles qui enferment la jeunesse haïtienne dans une éternelle minorité.

 La vérité qu’on tait.

Quand un jeune se présente à un entretien d’embauche, on lui demande : « Es-tu marié ? Vis-tu encore chez tes parents ? »

Ces questions ne sont pas innocentes. Elles servent d’alibi pour le sous-payer, pour l’exploiter, pour se dire : « Il n’a pas encore de vraies responsabilités. »

Mais qui osera dire la vérité ? Que des milliers de jeunes, à 20, 25, 30 ans, portent déjà des familles entières sur leurs épaules. Que dans les quartiers populaires de la région métropolitaine de Port-au-Prince, beaucoup financent les études de leurs cadets., Que des jeunes lancent des petites entreprises qui nourrissent dix familles à la fois. Qu’à Jérémie, à Cap-Haïtien, aux Cayes, des jeunes enseignants tiennent debout des écoles communautaires alors qu’ils sont payés une misère.

Ces jeunes assument davantage que certains chefs de famille officiels. Mais parce qu’ils n’ont pas « l’âge requis » ou le « statut marital » attendu, on leur dénie la reconnaissance.

Alors, assez de mépris. Le salaire d’un jeune ne doit pas être fonction de son âge ni de son statut marital, mais de son travail, de sa compétence, de son mérite.

Une 3ᵉ voie pour Haïti.

Ni jeunisme, ni gérontocratie. Haïti a besoin d’autre chose : une révolution de la responsabilité.

Cela veut dire, très concrètement, que nous devons rompre avec la manière injuste dont on recrute, dont on évalue et dont on paie les jeunes. Les questions humiliantes posées lors d’un entretien ne devraient plus avoir leur place. Ce qui doit compter, c’est la compétence réelle, l’expérience acquise, l’efficacité démontrée.

Cela veut dire aussi que nos institutions doivent s’ouvrir à la relève. Trop souvent, les mandats se prolongent et les postes se transforment en patrimoines privés. Si nous voulons respirer, il faut instaurer des limites claires, créer de l’espace pour les générations suivantes, donner à ceux qui ont de nouvelles idées la chance de les mettre en œuvre.

Mais ouvrir la porte aux jeunes ne signifie pas fermer la porte aux anciens. Il faut bâtir un pont. Imaginons un pays où chaque cadre expérimenté aurait la responsabilité d’accompagner un jeune, de lui transmettre son savoir, et où chaque jeune aurait le devoir d’innover, de proposer, de transformer. C’est cela, un mentorat véritable, pas une rhétorique vide.

Enfin, cela veut dire que toute personne qui exerce une charge publique, qu’elle ait 30 ans ou 70 ans, doit rendre des comptes. Haïti a besoin d’une culture politique où les promesses ne s’envolent plus, où les bilans sont écrits noir sur blanc, accessibles à tous, et où l’échec comme le succès se mesurent à la lumière du service rendu.

Et pour préparer cette relève, nous devons commencer tôt. Dans nos lycées, dans nos universités, il faut former non seulement des diplômés, mais des citoyens responsables. Enseigner comment se gère un budget, comment fonctionne une administration, comment défendre ses droits et respecter ceux des autres. Une jeunesse instruite politiquement ne se contente pas de protester : elle gouverne, elle construit.

Voilà la 3ᵉ voie dont Haïti a besoin : un pays qui exige de chacun – jeune ou vieux – non pas un âge ou un statut, mais une responsabilité, une compétence, une intégrité.

L’appel.

Haïti ne peut plus attendre. Elle n’a plus le luxe de se perdre dans des querelles d’âge. Chaque jour qui passe, la misère s’installe, les jeunes partent, la confiance meurt.

Alors voici l’alternative :

  • continuer à classer les citoyens entre « trop jeunes » et « trop vieux », et laisser Haïti mourir,
  •  ou bâtir un pays où la seule vraie question est : « Qu’as-tu à offrir à ton peuple ? »

Je choisis la troisième voie. Et je le dis sans détour : un jour, j’aurai une charge nationale. Mais pas pour flatter la jeunesse ni pour flatter la vieillesse. Pour servir la vérité : la seule noblesse politique est celle du service rendu.

L’avenir d’Haïti ne sera ni celui des jeunes seuls, ni celui des vieux seuls. L’avenir d’Haïti sera celui des responsables, des justes, des courageux : à vingt ans, à cinquante ans, ou à quatre-vingts ans.

Un pays qui méprise ses jeunes se condamne. 

Un pays qui adore ses vieux sans les juger s’étouffe.

Mais un pays qui exige de chacun, jeune ou vieux, la compétence, l’intégrité et le courage – ce pays-là renaîtra.

Et Haïti renaîtra.

Ralf Dieudonné JN MARY 

Je choisis la troisième voie. Et je le dis sans détour : un jour, j’aurai une charge nationale. Mais pas pour flatter la jeunesse ni pour flatter la vieillesse. Pour servir la vérité : la seule noblesse politique est celle du service rendu.

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