Entretien – Dr Emmanuel Ménard avec Rezo Nòdwès. « La Constitution de 1987 n’interdit pas le Référendum. Elle interdit à un gouvernement de recourir au référendum comme prétexte pour la modifier« .
Questions posées par cba
À Port-au-Prince, le Barreau a récemment opposé un refus catégorique aux autorités haïtiennes de facto quant à l’organisation d’un référendum constitutionnel que la Loi fondamentale prohibe. À Montréal, une organisation de la diaspora a également exprimé ses réserves, rappelant les risques de dérive institutionnelle et l’absence de consensus national. Pour l’instant, les rares voix qui se sont publiquement alignées en faveur du référendum proviennent essentiellement de l’exécutif et de ses alliés ‘naturels’ des hors-la-loi. D’anciennes figures politiques, telles que l’ex-sénatrice Edmonde Supplice Beauzile — jadis opposée à l’initiative portée par Jovenel Moïse — se montrent aujourd’hui silencieuses. De même, l’ancien président du Sénat, Joseph Lambert, n’a pas ouvertement pris position, entre calcul électoral et prudence face aux sanctions internationales déjà prononcées contre plusieurs acteurs politiques. Dans ce climat d’incertitude, où les pressions de la CARICOM, de l’OEA, de l’ONU et de l’ambassade des États-Unis pèsent lourdement sur l’agenda politique, Dr Emmanuel Ménard, coordonnateur du Parti haïtien révolutionnaire Louverturien, a accepté de répondre aux questions de Rezo Nòdwès.
Q – Référendum et Constitution
On se trouve à moins de quatre mois de la fin de l’année 2025, et le Conseil présidentiel de transition (CPT) n’a plus que quelques mois avant la passation du pouvoir. La Constitution de 1987 interdit expressément le recours au référendum. Dans ce contexte, comment jugez-vous la légitimité de l’initiative d’organiser un tel processus ?
EM – Je veux être clair. Je suis pour une nouvelle constitution en conservant les acquis démocratiques. C’est une nécessité de changer la Constitution, pas dans n’importe quelle condition ; il est impossible de l’amender présentement. Comme aucune loi ne saurait être immuable, changer la constitution est un acte de souveraineté.
La Constitution de 1987 n’interdit pas le Référendum. Elle interdit à un gouvernement de recourir au référendum comme prétexte pour la modifier.
La démarche du CPT est immorale et illégitime. Le processus est biaisé. J’ai toujours recommandé, à défaut de l’organisation d’une conférence nationale, la formation d’une assemblée constituante élue ou nommée, dès qu’elle soit représentative et crédible. Ensuite, un Conseil National Référendaire organiserait la consultation populaire pour sa ratification. C’est la nouvelle constitution qui dira comment former l’organe qui devra organiser les prochaines élections. De toute façon, avec le CPT et son CEP, il n’y aura ni référendum ni élections.
Q – Calendrier politique
En tant qu’acteur impliqué dans plusieurs accords, notamment avec la CARICOM, pensez-vous que la transition ira jusqu’au 7 février 2026, ou anticipez-vous une évolution ou un basculement politique avant cette date ?
EM – Oui, j’ai participé à plusieurs rencontres et négociations sous le parapluie du CARICOM. Mais je n’ai signé aucun accord. Au Sommet du 11 mars 2024, je me suis opposé à la formule collégiale de neuf membres à la Présidence. Mais, une majorité d’acteurs ont accepté cette voie pour participer au pouvoir. J’ai refusé de participer à la formation du Conseil Présidentiel de Transition.
Pour l’histoire, depuis la Présidence de Jovenel Moise à date, la Force Louverturienne Réformiste n’a fait partie d’aucune coalition gouvernementale.
La situation générale du pays s’est considérablement dégradée sous l’administration du CPT. Le bilan est nul. Le pays ne pourra pas attendre jusqu’au 7 février 2026 pour se doter d’une nouvelle gouvernance intérimaire.
J’ai récemment appelé à la tenue d’une Conférence inter-haïtienne, sous le patronage du Protecteur du Citoyen par exemple. Il ne faut pas attendre une invitation des organismes internationaux pour trouver le consensus réaliste permettant de remplacer le CPT. Le modèle des accords d’appareils comme ceux du 11 septembre, du 21 décembre ou du 3 avril est improductif ; ces accords ont été des instruments pour des groupes politiques et de la société civile pour se partager le pouvoir. Le résultat est accablant. Il faut aujourd’hui un PACTE PATRIOTIQUE et un PLAN NATIONAL.
Q – Corruption et crédibilité internationale
Trois membres du CPT ont été publiquement mis en cause par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) dans une affaire présumée de pots-de-vin impliquant un ancien directeur de la Banque nationale de crédit. Selon vous, comment la présence de membres suspectés de corruption affecte-t-elle l’image d’Haïti à l’international, et pourquoi ces trois dirigeants s’accrochent-ils à leurs postes malgré de telles dénonciations ?
EM – Vous parlez des trois conseillers impliqués dans l’affaire de la BNC, mais les neuf sont tous solidaires de la débâcle. L’accord du 3 avril n’est jamais publié, l’organe de contrôle et le conseil de sécurité n’ont jamais vu le jour. Ils tous détourné à leur profit les fonds d’intelligence, ils ont tous bombardé leurs souffifres au gouvernement, dans la diplomatie et dans les entreprises publiques. Ils sont aujourd’hui tristement célèbres et appartiennent déjà à l’histoire. Ils n’ont pas d’avenir.
Aujourd’hui, Haiti sent la poudre. Il y a de l’électricité dans l’air. Tout moune bouke. Il est dit que celui qui a tout souffert peut tout oser. Deblozaj ka pete nenpòt lè. D’ici le mois d’octobre, la fureur du peuple pourra être incommensurable. La population haïtienne est dans une grande souffrance. Les autorités affichent un mépris légendaire face aux douleurs de la majorité. L’État est capturé par le CPT. L’administration publique est devenue une boutique. C’est inacceptable.
Le Consortium Patriotique que je représente, multiple les consultations pour construire une alternative nationale viable. La formule de la Cour de Cassation est sur la table, elle est fiable ; certaines entités souhaitent un triumvirat et d’autres pensent revenir à une monocéphalité á la Ertha Trouillot ou à la Bazin. Il faudra privilégier les intérêts de la Nation. En réalité, la TRANSITION n’a jamais commencé. Des groupes ont assauté le pouvoir à travers des gouvernements provisoires. Le moment est venu de mettre de l’ordre dans la cité avec un leadership collectif. La peur doit changer de camp, les corrompus et les criminels doivent être traqués.
C’est mon voeu pour cette nouvelle année fiscale. Je vous en remercie !