Depuis la chute d’une dictature féroce qui a marqué au fer rouge la mémoire collective, les générations d’Haïtiens n’ont jamais eu le répit tant espéré. Le rêve d’un avenir meilleur s’est lentement effrité, laissant place à une succession de cauchemars : instabilité politique chronique, catastrophes naturelles récurrentes, et aujourd’hui, une violence de gangs d’une brutalité inouïe qui déchire chaque jour un peu plus le tissu social.
Dans les rues de Port-au-Prince comme dans celles des villes de province, l’insécurité a un visage : celui de groupes armés qui sèment la terreur, kidnappent pour rançon, tuent sans remords, violent, incendient et pillent sans crainte de représailles. Les maisons ne sont plus des refuges, les églises ne sont plus des sanctuaires, et les écoles — lieux de savoir et d’espoir — se transforment en ruines ou en abris de fortune. Chaque Haïtien vit avec la peur chevillée au corps, chaque mère serre ses enfants comme si chaque jour pouvait être le dernier.
Face à cette descente aux enfers, l’État haïtien, gangréné par des décennies de corruption, de clientélisme et de fragilité institutionnelle, se montre incapable d’assurer le bien-être le plus élémentaire : sécurité, santé, éducation, logement. Le pacte social est rompu. Les habitants, qui avaient placé leurs maigres espoirs dans la reconstruction démocratique, se sentent aujourd’hui abandonnés, livrés à eux-mêmes dans un océan de chaos.
La Protection Civile, bien que composée d’hommes et de femmes courageux, n’a jamais reçu les moyens adéquats pour répondre efficacement aux drames qui frappent le pays. Ses efforts, souvent héroïques, se heurtent à un manque criant de ressources financières, logistiques et humaines. Comment venir en aide à des populations sinistrées quand les routes sont impraticables, quand les centres d’hébergement sont inexistants, quand les secours manquent de matériel de base et que l’État, paralysé, n’assure aucun relais solide ?
Ce qui s’effrite aujourd’hui en Haïti, ce n’est pas seulement la sécurité publique ou les infrastructures, c’est l’âme même d’un peuple. Cette âme qui a résisté à l’esclavage, à l’occupation, aux dictatures et aux cyclones, mais qui, aujourd’hui, vacille sous le poids d’une violence sans précédent et d’une indifférence politique meurtrière.
Et pourtant, malgré la fatigue, malgré les larmes, malgré la faim et la peur, les Haïtiens demeurent debout. Cette résilience force l’admiration du monde entier, mais elle ne peut suffire éternellement. Un peuple ne peut se nourrir seulement d’endurance et de courage. Il a besoin de soutien psychologique, moral et concret. Il a besoin d’institutions solides et d’un État qui protège et accompagne. Il a besoin d’une solidarité internationale qui ne soit pas dictée uniquement par des urgences ponctuelles, mais par une vision de reconstruction durable et humaine.
Haïti est en train de s’étioler. Mais tant que subsiste une étincelle dans les yeux de ceux qui refusent d’abandonner, il reste l’espoir que ce cauchemar prendra fin, et qu’un jour, enfin, l’âme haïtienne pourra respirer à nouveau.
Lyndd J. Jasmin