La révolution et le changement social ne se construisent pas uniquement sur Facebook ou TikTok. Les réseaux sociaux sensibilisent, mobilisent et créent des débats, mais sans moyens financiers, logistiques et intellectuels, les idées restent de simples slogans. Dans un pays comme Haïti, où l’État est souvent défaillant et la société civile sous-financée, la diaspora peut et doit jouer un rôle crucial.
Chaque année, les communautés haïtiennes à l’étranger envoient plus de 4 milliards de dollars en transferts familiaux. Cet argent, vital pour la consommation des ménages, reste toutefois rarement orienté vers des projets collectifs de réforme ou de transformation sociale.
Ce constat rejoint la théorie du capital social (Bourdieu, Putnam), qui montre que les réseaux de solidarité et les ressources mobilisées par les communautés peuvent être convertis en changements collectifs lorsqu’ils sont organisés. La diaspora constitue un capital social transnational qui, bien utilisé, peut soutenir l’innovation et la réforme dans le pays d’origine.
L’histoire mondiale montre d’ailleurs que l’implication financière et stratégique des diasporas peut faire la différence, confirmant la théorie des réseaux transnationaux (Portes, Levitt) :
- Inde : dans les années 1990 et 2000, la diaspora indienne a soutenu des incubateurs de start-up et des think tanks qui ont accompagné les réformes économiques du pays.
- Irlande : dans les années 1980 et 1990, les Irlandais de l’étranger ont alimenté des fonds de développement local qui ont permis de relancer des régions entières.
- Israël : dès sa création, l’État d’Israël a bénéficié d’un financement constant de sa diaspora pour ses infrastructures, ses universités et ses mouvements politiques.
- Afrique du Sud : pendant l’apartheid, une partie de la diaspora sud-africaine a joué un rôle clé dans le financement des mouvements anti-apartheid à l’étranger.
Ces exemples illustrent la théorie de l’investissement collectif : des ressources dispersées peuvent produire un effet de levier lorsqu’elles sont mutualisées dans des fonds d’investissement, des fondations, des bourses, l’appui aux médias indépendants ou aux think tanks.
Aujourd’hui, en Haïti, l’opinion publique réclame par exemple une baisse des taxes douanières pour soulager la classe moyenne. C’est une cause juste. Mais sans stratégie ni financement pour aboutir à une véritable réforme du Code douanier haïtien, cette revendication risque de rester un cri dans le désert.
En appliquant la théorie du changement social planifié (Lewin), la diaspora haïtienne pourrait devenir l’agent catalyseur de réformes profondes : investir dans des projets structurants, soutenir des mouvements citoyens, financer la production d’idées nouvelles et renforcer les institutions. C’est en passant de l’assistance individuelle à l’investissement collectif que la diaspora pourra contribuer à bâtir une société plus juste, plus stable et plus prospère
Alceus Dilson
Communicologue, juriste
alceusdominuque@gmail.com