Par Patrick Prézeau Stephenson —10 septembre 2025
Le 9 septembre 2025, l’Organisation des États Américains (OEA) et une coalition de ses États membres ont publié une déclaration conjointe appelant à une action coordonnée des Nations Unies en soutien à la « Feuille de route de l’OEA pour Haïti ». Le texte ressemble à un manifeste de solidarité hémisphérique : un chœur de nations, de Antigua-et-Barbuda aux États-Unis, promettant de soutenir Haïti dans ce qu’elles qualifient de « moment critique » [1][2].
Pourtant, derrière ces envolées diplomatiques se cache une réalité crue : Haïti a déjà connu cette situation. Les résolutions et les déclarations ont historiquement dépassé les capacités opérationnelles et la volonté politique, et rien n’indique que cette dernière déclaration rompt avec ce schéma.
La Feuille de route, présentée au Conseil permanent de l’OEA le 20 août 2025, se veut « dirigée par les Haïtiens », promettant sécurité, réforme institutionnelle et renouveau démocratique [2]. Mais elle a été en grande partie rédigée sous l’égide du Secrétaire général de l’OEA, en consultation avec l’ONU et les partenaires interaméricains. La tension entre la propriété haïtienne et la supervision internationale est donc déjà intégrée dans le document. La déclaration insiste sur le fait que Haïti doit tracer sa propre voie [1], mais les mécanismes proposés — création d’un Bureau de soutien des Nations Unies pour Haïti (UNSOH) et transition de la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) — laissent entendre une dépendance continue à l’égard d’acteurs externes [3].
La MSS elle-même, dirigée par le Kenya et appuyée par quelques États caribéens, peine à contenir la violence des gangs qui domine désormais une grande partie de Port-au-Prince et d’autres centres urbains [5][6]. Les rapports de l’ONU et d’observateurs indépendants documentent à plusieurs reprises des patrouilles sous-équipées, des mandats flous et des victimes civiles [4]. Transformer cette mission affaiblie en une « nouvelle force » capable de créer un environnement sécurisé est une promesse ambitieuse, qui dépendra du financement et de la coordination politique — éléments rarement constants en Haïti.
Les gestes symboliques dominent pourtant la déclaration. Les hommages au leadership du Kenya et aux États contributeurs tels que les Bahamas, le Belize et la Jamaïque sont politiquement opportuns mais opérationnellement modestes [5]. Les véritables moyens — argent, équipement, logistique — viennent principalement de Washington, Brasília et Ottawa. L’inclusion de la CARICOM ajoute une légitimité régionale, mais le bloc est peu susceptible d’exercer une influence indépendante dans ce qui est, en réalité, une stratégie menée par les États-Unis et l’OEA [7].
La déclaration aborde les problèmes structurels : corruption, institutions faibles, pauvreté, inégalités et manque de services publics essentiels [6]. Cette reconnaissance est cruciale — les opérations de sécurité seules ne peuvent restaurer la gouvernance. Cependant, le bilan de l’OEA en Haïti est mitigé. De l’observation contestée des élections à l’inaction face à l’impunité des élites, sa crédibilité est fragile. Sans garanties solides de participation effective de la société civile haïtienne, les références à des « solutions dirigées par les Haïtiens » risquent de rester de l’aspiration rhétorique.
Le financement est un autre problème récurrent. La déclaration encourage les contributions volontaires au Fonds fiduciaire de l’ONU pour la nouvelle force [8]. L’histoire montre que ces promesses arrivent souvent de manière sporadique ou ne se concrétisent pas, compromettant la planification et le développement institutionnel à long terme. La mention de la plateforme OEA SECURE-HAITI, conçue pour renforcer la capacité et la coordination policières locales, est un pas dans la bonne direction, mais risque de créer des structures parallèles dédoublant les mécanismes de l’ONU [9].
Enfin, l’accent mis sur la protection des populations vulnérables — femmes, enfants et communautés marginalisées — et sur l’intégration des droits humains [10] est nécessaire, étant donné l’augmentation documentée de la violence basée sur le genre et de l’exploitation des enfants dans le vide sécuritaire haïtien. Cependant, un langage similaire dans les interventions passées a trop souvent servi de façade lorsqu’il n’était pas accompagné de mécanismes de contrôle efficaces.
Le sous-texte géopolitique est clair. En présentant un front uni des États membres de l’OEA, la déclaration envoie un message au Conseil de sécurité de l’ONU : les Amériques sont alignées et attendent une réponse substantielle et crédible. Mais comme tout observateur d’Haïti le sait, l’alignement politique dans les capitales ne se traduit pas automatiquement par une action efficace sur le terrain. Les échecs de coordination entre l’OEA, la CARICOM et l’ONU, combinés à un financement irrégulier et à une légitimité locale limitée, pourraient transformer la Feuille de route en un document de plus dans le long historique des interventions ratées [1][2][3][4].
Il y a pourtant des raisons d’espérer. Lier sécurité et réforme institutionnelle ainsi que l’engagement de la société civile est la bonne stratégie. La référence explicite au renforcement de la Police nationale haïtienne (PNH), aux mesures anti-corruption et à la participation civique correspond aux meilleures pratiques en matière de stabilisation d’États fragiles [3][6][9]. Le véritable test sera de savoir si ces intentions se traduisent par des indicateurs clairs, des mécanismes de reddition de comptes et un financement prévisible sur plusieurs années. Sans ces engagements, même la déclaration la mieux rédigée échouera à améliorer la vie des Haïtiens ordinaires.
En fin de compte, la déclaration du 9 septembre est une déclaration d’intention, pas une garantie. Elle propose une feuille de route ambitieuse dans les mots mais limitée dans la mise en œuvre. Haïti se trouve à nouveau à l’intersection de l’espoir et du scepticisme. Si l’OEA, l’ONU et la CARICOM ne transforment pas ces mots en action — avec des protections des droits humains exécutoires, des opérations de sécurité crédibles et un leadership véritablement haïtien — la Feuille de route risque de devenir un projet bien intentionné mais vide de substance, reproduisant les échecs passés.
Le temps presse. Les 60 à 90 prochains jours — délibérations du Conseil de sécurité, engagements financiers et potentielles premières opérations sur le terrain — détermineront si cette déclaration marque le début d’une stratégie coordonnée et efficace ou reste une simple prouesse diplomatique dans la longue lutte d’Haïti pour la stabilité.
Références
1. OAS General Assembly Resolution AG/RES. 3039 (LV-O/25)
2. OAS « Roadmap for Haiti » presentation – Permanent Council session
3. UN Security Council Resolution 2699 (2023) – Authorizing MSS in Haiti
4. UN reports on organized crime and gang violence in Haiti
5. Kenya’s leadership of the MSS mission
6. OAS/Inter-American Commission on Human Rights (IACHR) – Haiti updates
7. CARICOM’s role in Haiti’s crisis response
8. UN Trust Fund for Haiti Security Mission
9. OAS SECURE-HAITI platform
10. UN Human Rights Office – Haiti reports
Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com
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Kilès nouye : Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti
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