25 octobre 2025
Tant qu’Haïti n’affrontera pas la corruption systémique et la mauvaise gouvernance, son peuple restera dans la pauvreté
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Tant qu’Haïti n’affrontera pas la corruption systémique et la mauvaise gouvernance, son peuple restera dans la pauvreté

Le Congrès patriotique pour le sauvetage national d’Haïti, lancé par le milieu académique et des organisations de la société civile, a récemment mené près d’un mois de consultations à travers le pays et sa diaspora sur l’aggravation de la crise nationale.

Clôturées le 27 juin, ces consultations ont débouché sur 25 propositions articulées autour de trois axes : 19 sur la crise sécuritaire et six sur la réforme de la gouvernance publique et la succession interminable de transitions politiques.

Si ces trois volets sont liés et essentiels au redressement national, le nombre de propositions montre que la priorité est accordée à la sécurité. Pourtant, en tant qu’expert en politiques publiques et en administration, j’affirme que la réforme de la gouvernance est cruciale, car l’insécurité, l’anarchie et l’instabilité politique d’Haïti trouvent leurs racines dans la corruption et la mauvaise gouvernance.

La corruption au cœur du problème

La corruption endémique est le véritable cancer qui ronge Haïti. Elle décourage l’investissement privé, freine la production de biens et services, alimente les troubles sociaux, la criminalité et la misère. Elle constitue la cause fondamentale de la crise haïtienne, et non une simple conséquence.

L’économiste et prix Nobel Angus Deaton, dans son ouvrage The Great Escape: Health, Wealth, and the Origins of Inequality, souligne qu’un gouvernement national efficace est indispensable pour permettre aux populations d’échapper à la misère. Une étude du FMI et de la Banque mondiale confirme que l’accroissement de la corruption réduit significativement la croissance des revenus des plus pauvres. Ainsi, ce n’est pas la pauvreté qui engendre la corruption, mais bien l’inverse.

Il est donc évident que la majorité des recommandations du Congrès patriotique devraient cibler la mauvaise gouvernance et la corruption.

Une corruption banalisée

En Haïti, la corruption est la règle plutôt que l’exception. Elle est systémique et institutionnalisée. Le scandale du PetroCaribe, estimé à 2 milliards de dollars américains, en est un exemple flagrant.

Des investisseurs animés de bonnes intentions se heurtent systématiquement à une armée de fonctionnaires corrompus. J’en ai moi-même fait l’expérience en cofondant l’entreprise Biogaz pour une Solution Intégrée. Alors que nous espérions un climat favorable après l’élection du président Jovenel Moïse en 2017, nous avons été confrontés à des demandes de pots-de-vin explicites, y compris de la part d’anciens camarades devenus hauts fonctionnaires. Dans un tel environnement hostile, l’entreprise n’a pas survécu.

Cette expérience illustre combien certains Haïtiens adoptent des comportements corrompus avec une désinvolture déconcertante, parfois même sans en mesurer la gravité.

La descente aux enfers d’Haïti

Pour attirer les investissements privés, trois conditions sont indispensables : la stabilité politique, une bonne gouvernance et une lutte crédible contre la corruption. Or, en Haïti, ces trois piliers sont sapés. Résultat : la stabilité reste un mirage et la pauvreté s’aggrave.

Premier État noir indépendant et jadis modèle d’émancipation pour les nations caribéennes et latino-américaines, Haïti est aujourd’hui le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, avec un PIB par habitant en baisse moyenne de 2 % par an entre 2014 et 2024.

Face à ce constat, il est urgent d’agir. Les institutions haïtiennes doivent reconnaître l’ampleur de la corruption, cesser les jeux de bouc émissaire, réformer leurs structures et instaurer une gestion transparente des fonds publics. Les alliés internationaux, pour leur part, doivent soutenir des réformes institutionnelles, notamment judiciaires, plutôt que d’imposer des solutions militaires.

Une piste décisive serait d’élargir le mandat de la Cour pénale internationale afin de classer le détournement massif de fonds publics au rang de crime financier international, au même titre que le génocide.

L’éducation comme arme

La mobilisation de la société civile est essentielle pour contraindre les institutions, nationales comme internationales, à agir. Une vaste campagne d’éducation civique est également nécessaire, dès l’école primaire jusqu’à l’université, pour sensibiliser les citoyens à la nature de la corruption et à ses effets dévastateurs.

La lutte contre la corruption systémique permettrait, par ricochet, de réduire l’insécurité et d’en finir avec les transitions politiques sans fin, tant ces problèmes sont interconnectés.

Forte de son histoire de résistance et de résilience, Haïti doit s’attaquer avec détermination à ce fléau, afin d’inverser le cours de son destin et d’offrir à son peuple la prospérité, la paix et un avenir digne de son héritage.

Ruolz Ariste

The Conversation

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