On dit souvent que ce sont les idées qui mènent le monde. Pourtant, en Haïti, nous restons enfermés dans des schémas de pensée figés, dans des idées toutes faites, incapables d’apporter du neuf. Les intellectuels et les politiciens se contentent de répéter les mêmes discours et d’adopter les mêmes pratiques héritées du passé, ce qui empêche toute véritable innovation.
Le refus d’innover dans les pratiques politiques
Depuis 1986, la scène politique haïtienne illustre ce refus du changement. Au lieu de réinventer la démocratie en l’adaptant aux réalités locales, les acteurs politiques se sont enfermés dans des luttes de pouvoir, répétant les mêmes logiques de clientélisme, de corruption et d’exclusion. Max Weber l’explique dans sa typologie des dominations : lorsque la politique repose trop sur le charisme et les traditions, sans rationalisation institutionnelle, elle tourne en rond. C’est exactement le cas d’Haïti : on célèbre les élections comme un rituel démocratique, mais sans innovation institutionnelle capable de garantir la stabilité ni le développement.
Ce conservatisme politique rejoint la thèse de Pierre Bourdieu sur l’habitus, selon laquelle les comportements sociaux tendent à se reproduire mécaniquement. En Haïti, l’« habitus politique » reste marqué par le culte du pouvoir personnel, la personnalisation des partis et l’absence de projets collectifs. Cette reproduction bloque toute tentative d’inventer de nouvelles pratiques démocratiques.
L’absence d’idéologies novatrices
Karl Mannheim, dans sa réflexion sur l’idéologie et l’utopie, rappelle que toute société a besoin d’utopies mobilisatrices pour avancer. Or, en Haïti, les élites se méfient des utopies : elles préfèrent recycler de vieux slogans vides de contenu. Ainsi, au lieu de construire de nouvelles idéologies sociales et économiques capables d’unir la population, la politique reste prisonnière de discours populistes qui entretiennent le statu quo.
L’innovation, clé du développement
Thomas Kuhn, dans sa théorie du changement de paradigme, insiste sur le fait que le progrès naît toujours d’une rupture radicale avec les anciens modèles. Mais en Haïti, cette rupture n’a jamais eu lieu. Les élites politiques refusent d’expérimenter des pratiques nouvelles — que ce soit en matière de gouvernance locale, de participation citoyenne ou de réforme institutionnelle. Ainsi, même dans la pratique politique, le refus d’innover est devenu une norme, ce qui condamne le pays à répéter les mêmes erreurs.
La crise haïtienne n’est donc pas seulement économique ou sociale, elle est profondément culturelle et politique. Les Haïtiens — et en particulier leurs élites — n’aiment pas innover. Ils préfèrent reproduire les mêmes pratiques politiques du passé, plutôt que d’imaginer de nouvelles voies. Tant que cette culture du conservatisme persistera, Haïti restera prisonnière d’un cercle vicieux où le passé dicte toujours l’avenir.
Alceus Dilson , Juriste Communicologue
E-mail : Alceusdominique@gmail.com

