24 octobre 2025
Haïti : L’heure de notre seconde indépendance a sonné
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Haïti : L’heure de notre seconde indépendance a sonné

Par Ralf Dieudonné JN MARY 

Il y a plus de deux siècles, au cœur de la mer des Caraïbes, un peuple asservi a fait trembler l’ordre mondial.

Sur cette terre qu’on appelait alors Saint-Domingue, nos ancêtres ont défié l’impossible : vaincre la plus grande armée coloniale de l’époque, briser leurs chaînes et fonder la première république noire indépendante.

Cette victoire n’était pas seulement militaire.

Elle était une révolution philosophique, un cri universel qui proclamait : aucun être humain n’est né pour plier le dos.

Elle a ébranlé les empires, inspiré les peuples en lutte, nourri les rêves de liberté sur tous les continents.

Et nous en sommes fiers.

Cette fierté est inscrite dans notre drapeau, nos chants, nos proverbes, nos histoires au clair de lune. Elle nous relie, à travers le temps, à ceux qui ont osé dire non à l’esclavage et oui à la dignité.

En 1804, Haïti a montré au monde que la liberté ne se mendie pas : elle se prend. Mais aujourd’hui, deux siècles plus tard, un autre combat nous attend. Non pas avec des armes et du feu, mais avec la vision, l’audace et la volonté de bâtir. Cette fois, il ne s’agit pas de briser nos chaînes physiques… mais de nous libérer des chaînes invisibles qui nous maintiennent dans l’attente, dans la nostalgie, et parfois, dans l’illusion.

Ce que nous voyons… et ce que les autres voient.

Souvent, lorsque nous parlons de notre histoire à un Français par exemple, nous croyons que cela lui rappelle sa défaite. Mais nous nous trompons. En réalité, cela lui rappelle surtout qu’à un moment donné, nous lui étions soumis. Il arrive même que certains Français parlent d’Haïti et de notre indépendance, non par admiration, mais parce que ce souvenir leur rappelle qu’un jour, leur pied était sur notre cou.

Oui, c’est vrai. Que notre histoire ait été écrite par nous ou par d’autres, qu’elle soit vraie dans chaque détail ou embellie par des récits, une chose demeure : elle inspire encore des millions de personnes à travers le monde. Et soyons honnêtes : être capable d’inspirer ainsi, même avec une histoire façonnée par d’autres, n’est pas donné à tous les pays. Peu de nations peuvent se vanter d’avoir une légende nationale qui traverse les frontières et les siècles.

Mais voilà le piège : nous avons fini par vivre dans cette gloire passée comme dans une maison-musée. Nous la visitons chaque fois que nous avons besoin de fierté, mais nous oublions que la vraie grandeur se construit dans le présent. Pendant que nous rêvons encore de 1804, l’ONU nous rappelle que nous faisons partie des pays susceptibles de disparaître dans les 50 prochaines années. Et attention, ce n’est pas le sol que l’on dit menacé : la terre sera toujours là. C’est nous, le peuple haïtien, qui risquons de devenir un souvenir, une note de bas de page dans un manuel d’histoire.

La nostalgie ne construit pas l’avenir.

Ne nous trompons pas de combat : il ne s’agit pas de répéter 1804.

L’époque des batailles rangées et des têtes tranchées appartient à un autre siècle.

Le véritable héritage de 1804 n’est pas la guerre.

C’est l’audace de bâtir l’impossible, la force de s’unir, la vision stratégique d’un peuple qui refuse la fatalité.

Aujourd’hui, trop souvent, nous nous contentons de contempler ce trophée figé, comme si la liberté conquise une fois suffisait pour l’éternité.

Mais la liberté, comme la dignité, se cultive chaque jour ou elle se perd.

Quand l’ONU nous inscrit parmi les pays susceptibles de disparaître dans les cinquante prochaines années, ce n’est pas l’île d’Haïti qui est menacée.

Ce qui risque de disparaître, c’est nous, notre peuple, nos institutions, notre voix dans le concert des nations.

La terre, elle, restera. Et ceux qui savent sa valeur viendront toujours y faire leur beurre.

Osons plus grand que 1804.

Nous avons sous les yeux des richesses que d’autres exploiteraient comme des trésors nationaux.

Le vétiver, qui parfume les plus grandes maisons de luxe mais dont nous tirons si peu de valeur ajoutée.

La mangue Francisque, capable de séduire les marchés du monde entier.

Le canal reliant Haïti à Cuba, artère maritime stratégique encore sous-utilisée.

Et ce n’est qu’un début.

Nous avons aussi un potentiel agricole immense : café de qualité mondiale, cacao fin, huile essentielle d’orange amère, production de piment et de plantes médicinales.

Nous possédons un littoral d’une beauté rare, avec des plages et des sites marins que bien des nations exploiteraient comme moteurs touristiques majeurs.

Nous avons une culture riche, capable de rayonner par la musique, l’art, la littérature, le cinéma.

Et nous avons surtout notre diaspora, présente dans toutes les grandes capitales, qui est un réseau humain et économique d’une puissance considérable, encore trop peu mobilisé pour le développement national.

Chacun de ces atouts est une bataille pacifique à mener.

Ce sont nos Vertières économiques, agricoles, culturelles et diplomatiques. Nos victoires de demain.

Si nous ne faisons rien…

Si nous continuons à ne vivre qu’au rythme des commémorations, un jour viendra où ce sont les autres qui rêveront à notre place.

Et ils écriront : « Il y avait un peuple sur cette île… »

Notre héritage n’aura alors servi qu’à remplir les livres d’histoire des autres, au lieu de guider notre propre destin.

Imaginez un instant un projet national qui ferait de la sécurité une priorité absolue : un pays où nos familles pourraient vivre sans peur, où les activités économiques reprendraient avec force, où les visiteurs viendraient retrouver la beauté et la chaleur de notre peuple en toute sérénité. Celui ou celle qui réussirait à porter cette transformation mériterait une confiance et un respect profonds, car il offrirait à Haïti un avenir tangible.

Cela est possible. Mais pour y parvenir, il faut que nous mettions fin à cette culture où certains préfèrent faire le mal pour conserver un poste. Il est temps d’inverser cette logique : faire le bien pour qu’on veuille que l’on reste, pour qu’on nous demande de rester. Et si on le faisait ainsi dorénavant ? Et si au lieu de faire le mal pour garder un poste, on faisait le bien pour qu’on veuille que l’on reste ?

Il ne s’agit pas de chercher des coupables, mais d’ouvrir les yeux sur ce que nous pouvons accomplir ensemble si nous décidons d’unir nos forces pour la sécurité, la paix et le progrès.

L’heure est venue.

Si notre histoire est vraie, alors nous devons l’honorer par une suite plus grande encore.

Si elle avait été inventée, alors nous porterions l’un des paradoxes les plus rares au monde : être capables d’inspirer des millions de personnes sur plusieurs continents avec un récit qui ne serait même pas totalement le nôtre. Peu de nations peuvent se targuer d’un tel pouvoir d’influence, même par la légende.

À ceux qui imaginent un seul pays sur cette île, rappelons-le : Haïti reste la seule nation à avoir offert au monde une leçon de liberté qui a changé le cours de l’histoire. Ce n’est donc pas à nous de disparaitre.

Nous avons été grands.

Nous pouvons l’être à nouveau.

Non pas en reproduisant la violence d’hier, mais en bâtissant les victoires de demain.

Par nos mains, nos idées, nos terres, nos mers.

1804 a prouvé que nous pouvions être libres.

L’avenir doit prouver que nous pouvons être grands.

Ralf Dieudonné JN MARY 

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