27 décembre 2025
La guerre urbaine d’Haïti et le plan de paix de l’OEA : pourquoi une feuille de route uniquement policière ne suffira pas
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La guerre urbaine d’Haïti et le plan de paix de l’OEA : pourquoi une feuille de route uniquement policière ne suffira pas

Par Patrick Prézeau Stephenson

La feuille de route de l’Organisation des États Américains (OEA) pour Haïti, publiée en juillet 2025, ressemble à un pacte de développement soigneusement élaboré : renforcer la Police nationale haïtienne (PNH), sécuriser les frontières, relancer les tribunaux, restaurer les services publics, créer des emplois, coordonner l’aide humanitaire. Sur le papier, le plan est sensé et humain. Mais dans les rues de Port-au-Prince, il est insuffisant. Ce plan omet l’ingrédient désormais indispensable face à la réalité de la capitale haïtienne : une composante sécuritaire crédible, équipée et capable d’affronter une guerre urbaine, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

La réalité que la feuille de route évite

Les gangs haïtiens ne sont plus de simples bandes de quartier. Ils sont désormais interconnectés, politiquement liés, approvisionnés par des réseaux transnationaux et tactiquement adaptatifs. Ils contrôlent des territoires, mènent des combats coordonnés, utilisent des armes lourdes, des IED et même des drones commerciaux armés. Ils creusent des tranchées, coupent les lignes d’approvisionnement et attaquent les infrastructures stratégiques (commissariats, prisons, dépôts de carburant, routes). C’est une insurrection armée financée par le crime, pas une criminalité de rue classique. La traiter uniquement comme un problème policier est une erreur de diagnostic.

Ce que l’OEA fait bien – mais partiellement

  • Réparation institutionnelle : Tribunaux, procureurs, prisons et outils anti-blanchiment sont indispensables.
  • Interdiction des trafics : Couper les flux d’armes et d’argent illicite est stratégique.
  • Services publics et emplois : Les communautés ne se retourneront pas contre les gangs si l’État ne remplace pas ces derniers comme fournisseur fiable d’ordre et de moyens de subsistance.
  • Coordination humanitaire : Les déplacés, la faim et la fermeture des cliniques ne sont pas des dommages collatéraux, ils sont le cœur du problème.

Mais ces éléments ne fonctionnent qu’après que les quartiers ont été repris, sécurisés et stabilisés. La feuille de route de l’OEA inverse la séquence : elle propose de “reconstruire” sans financer la phase “reprendre et tenir”.

Tenter de policer une guerre avec des notes de service

Le cœur du plan repose sur la “formation et l’équipement” de la PNH. Or Haïti a besoin de bien plus :

1.    Effectifs et préparation : Même avec des recrutements accrus, les forces déployables de la PNH sont trop réduites pour reprendre et sécuriser durablement un territoire urbain tenu par des groupes lourdement armés.

2.    Asymétrie de feu : Les gangs disposent de fusils d’assaut, d’armes automatiques et parfois de drones. Les véhicules non blindés et les armes légères des policiers ne suffisent pas à déloger des positions fortifiées.

3.    Tempo et persistance : La guerre urbaine exige des opérations synchronisées (encercler, isoler, attaquer, nettoyer, tenir). Sans force de maintien sur place, les quartiers repris retombent aux mains des gangs en quelques jours.

4.    Commandement et renseignement : Impossible de manœuvrer sans voir. Haïti a besoin de cellules de fusion du renseignement (écoutes, drones ISR, analyse des réseaux), pas seulement de patrouilles.

Ce qu’il faudrait ajouter : une véritable composante sécuritaire

Un plan crédible doit intégrer, sous autorité haïtienne et avec des garde-fous stricts sur les droits humains, une capacité militaire limitée mais robuste pour briser l’ossature opérationnelle des gangs, puis remettre l’espace à la police et aux civils. Cela implique :

  • Force hybride : Une gendarmerie composée d’unités spécialisées de la PNH et de composantes du FAd’H (logistique, génie) épaulée par une force multinationale de réaction rapide dotée de moyens aériens et de frappe ciblée. Cette présence doit être limitée dans le temps, non une occupation ouverte.
  • Séquence “Reprendre-Tenir-Reconstruire” :
    • Reprendre : Forcer les points stratégiques (ports, terminaux de carburant, carrefours routiers) avec des opérations guidées par le renseignement, des équipes anti-snipers, des blindés et des défenses anti-drones.
    • Tenir : Sécuriser les zones avec des postes fixes, un contrôle biométrique et une présence 24/7 ; restaurer rapidement l’eau, les cliniques et l’économie locale.
    • Reconstruire : Installer des tribunaux de proximité, des mécanismes de plainte et relancer les services publics.
  • Couper les finances et les approvisionnements : Créer une cellule trilatérale Haïti–République dominicaine–États-Unis pour interdire les flux d’armes et d’argent.
  • Limiter les dommages civils : Règles d’engagement claires, enquêtes indépendantes sur les incidents, mécanismes de réparation. La légitimité stratégique est un atout sécuritaire.
  • Programmes de sortie pour les jeunes recrues : Offrir des voies de réintégration pour ceux qui ne sont pas impliqués dans des crimes graves afin d’assécher le recrutement des gangs.

“Militarisation” ou nécessité ?

Certains craignent – à juste titre – les dérives des missions passées. Mais la solution n’est pas de répéter un plan uniquement policier. C’est de mettre en place un mandat strictement défini : commandement haïtien, objectifs mesurables, calendrier public de retrait, supervision civile et présence multinationale réduite mais efficace. On ne peut pas espérer gagner une guerre urbaine uniquement avec des patrouilles de police.

Comment l’OEA peut renforcer son plan

1.    Ajouter un volet sécuritaire concret : Définir les besoins en effectifs, les zones d’opérations et l’architecture de commandement conjoint avec la mission kényane et d’autres partenaires régionaux (Brésil, Jamaïque, Chili, Colombie, République dominicaine).

2.    Financer des capacités, pas seulement des uniformes : Hélicoptères, blindés, contre‑drones, communications sécurisées, renseignement aérien et médicalisation.

3.    Créer un Fonds de stabilisation communautaire : Débloquer l’argent uniquement quand les critères de sécurisation sont remplis (écoles ouvertes, marchés fonctionnels, services de base disponibles).

4.    Mettre en place une cellule de suivi et de transparence : Publier des données mensuelles : territoires sécurisés, armes saisies, incidents civils pris en charge, services rétablis.

5.    Lier justice et opérations : Intégrer des procureurs et juges aux unités de stabilisation pour juger rapidement les crimes graves.

6.    Sécuriser la frontière : Un pacte frontalier supervisé par l’OEA avec la République dominicaine pour réduire les frictions et contrôler les flux.

Le coût de l’omission

Dans sa version actuelle, la feuille de route de l’OEA risque de répéter un cycle connu : former, équiper, annoncer… puis voir les quartiers retomber aux mains des gangs au premier contre‑assaut. Le développement sans sécurité est illusoire. La sécurité sans respect des droits est une victoire à la Pyrrhus. Haïti a besoin des deux – dans le bon ordre, avec les bons moyens.

Conclusion : On ne peut pas stabiliser une ville prise en otage par les gangs avec des ateliers de gouvernance et de bonnes intentions. Ajouter un volet sécuritaire doté de moyens militaires calibrés et encadrés par le droit au plan de l’OEA, ou accepter que chaque opération policière victorieuse soit suivie d’un enterrement plus grand.

Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com

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