Lettre ouverte de Joverlein Moïse
Fils du 58e président de la République d’Haïti, Jovenel Moïse
À l’honorable Marco Rubio
72e secrétaire d’État des ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
U.S. Department of State
2201 C street NW
Washington, D.C. 20520
Monsieur le Secrétaire d’État,
Depuis l’arrivée des colons en Amérique, les États-Unis et la République d’Haïti sont les deux plus anciennes nations souveraines du continent. Nos histoires sont intimement liées, et nos peuples ont toujours partagé cette responsabilité commune : soutenir l’idéal démocratique tout en défendant la dignité humaine.
Depuis plusieurs décennies, le peuple haïtien endure une succession de crises qui ne cessent de s’aggraver. Mais c’est le 7 juillet 2021, lors de l’assassinat brutal du président constitutionnellement élu Jovenel Moïse, mon père, que nous avons touché le fond de cette descente aux enfers.
Cet acte ignoble et sans précédent a tué un président, mais pas l’espoir, ni la vision, ni la dignité que Jovenel Moïse, l’homme, incarnait pour son peuple.
En tant qu’ancien sénateur de l’État de Floride, terre d’accueil de la plus importante diaspora haïtienne, vous connaissez bien les dynamiques économiques et politiques qui ont miné Haïti. Vous n’ignorez pas non plus le rôle néfaste joué par certains oligarques puissants qui, depuis longtemps, financent des activités terroristes, l’instabilité politique, de multiples coups d’État, ultimement, l’assassinat de mon père. Un assassinat accompagné d’actes de torture inqualifiables. Un corps criblé de balles, que j’ai moi-même revêtu avant sa mise en terre. Ce drame a ouvert la voie à des pillages et des massacres : enfants, femmes, hommes, tous victimes d’un système corrompu et prédaté.
Monsieur le Secrétaire d’État, vous savez que des institutions américaines compétentes ont appréhendé certains de ces oligarques. Pourtant, d’autres, qui ont fomenté plus d’un complot contre Haïti – l’allié des premières heures, qui a contribué à préserver les États-Unis de la domination européenne – jouissent encore aujourd’hui de la protection de votre territoire, sans jamais être inquiétés.
Il va sans dire que vous avez, avec votre influence, la capacité et l’autorité morale de contribuer à ce que justice soit faite.
Vous êtes également conscient que les capacités financières de ces criminels dépassent de loin celles de nos institutions judiciaires affaiblies, des institutions qu’ils ont, pour beaucoup, déjà infiltrées, corrompues et neutralisées.
Il est impératif que les auteurs de ces crimes aussi graves soient jugés dans un pays aux institutions capables de garantir une justice réelle et appropriée. Le monde entier sait que le système judiciaire haïtien a été démantelé par ceux qu’il devrait précisément juger. Tant que régnera le chaos, les forces de l’ordre et les prisons d’Haïti resteront dysfonctionnelles.
Conséquemment, extrader de tels criminels vers un pays en état de déliquescence institutionnelle serait un acte d’une irresponsabilité flagrante, un geste que l’esprit même de fraternité républicaine, au cœur de la nation américaine, ne saurait autoriser. D’autant plus que ces oligarques ont su profiter des infrastructures technologiques, des réseaux de communication, des outils de financement et d’armement des États-Unis d’Amérique – un pays ami.
L’impunité de ces crimes, planifiés sur le sol américain puis commis sur le sol haïtien, ternit la réputation de votre nation et affaiblit davantage la souveraineté d’Haïti, qui aspire pourtant à se relever avec dignité.
Cette lettre n’est pas un appel à l’ingérence, mais un appel à la décence, à la justice. Elle est l’expression d’une jeunesse haïtienne debout, qui refuse la fatalité, mais qui sait qu’elle aura besoin de temps, de paix, d’alliés fidèles et de bonne foi pour reconquérir, puis reconstruire, sa patrie libre.
Cette missive est aussi une exhortation à un allié historique, pour qu’il entende enfin l’ampleur du traumatisme subi et agisse au nom du bien commun, et des principes que nos deux nations ont toujours défendus.
Je vous remercie pour votre attention, et pour tout acte de solidarité qui permettra à Haïti de sortir enfin de l’ombre et de marcher, fièrement, vers sa renaissance.
Respectueusement,
Jovenlein Moïse
Fils du président Jovenel Moïse
Montréal, le 23 juillet 2025