27 décembre 2025
Pétion, Dessalines et Bolívar : alliés pour la liberté de la Colombie, 20 juillet 1810
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Pétion, Dessalines et Bolívar : alliés pour la liberté de la Colombie, 20 juillet 1810

Des Cayes et Jacmel à Bogotá : le rôle déterminant d’Haïti dans la lutte pour l’indépendance latino-caribéenne

Le 20 juillet 1810 est généralement célébré en Colombie comme le point de départ de l’indépendance, marquant la formation des premières juntas locales qui contestèrent la souveraineté espagnole. Plusieurs villes comme Bogotá, Cartagena et Tunja proclamèrent alors leur rupture avec Madrid dans un contexte d’instabilité politique causée par la guerre napoléonienne. Néanmoins, cette déclaration initiale ne signa pas une indépendance effective, car l’Espagne conserva le contrôle militaire sur la plupart des territoires. Ce n’est qu’en 1819, à l’issue de la campagne victorieuse menée par Simón Bolívar, que l’indépendance fut consolidée par la défaite de l’armée espagnole lors de la bataille de Boyacá, scellant la naissance de la Grande Colombie.

Dans ce contexte, l’exil de Bolívar à Haïti en 1815 constitue un tournant décisif. Rejeté par les forces royalistes, le Libertador trouva auprès du président Alexandre Pétion un allié politique et militaire inestimable. Pétion, conscient de l’importance stratégique de la lutte bolivarienne, apporta à Bolívar des armes, des munitions, des navires ainsi qu’un contingent de volontaires haïtiens. Cette aide ne fut pas dénuée d’enjeux idéologiques : Pétion conditionna son appui à l’abolition de l’esclavage dans les territoires libérés. Ce pacte matérialisa une continuité politique directe avec l’héritage révolutionnaire de Jean-Jacques Dessalines (Les Cayes), dont la révolte avait renversé l’ordre colonial esclavagiste à Haïti.

La nature transnationale de cette alliance met en lumière un aspect souvent occulté des luttes pour l’émancipation en Amérique latine : la solidarité entre peuples issus de l’esclavage et des luttes anticoloniales. Haïti, en tant que première république noire indépendante, incarnait un modèle et une source de soutien matériel et moral, malgré son isolement diplomatique par les puissances esclavagistes. Le rôle de Pétion et de ses partisans transcende ainsi la simple aide militaire : il s’agit d’une véritable coopération politique fondée sur un idéal commun d’abolition, d’égalité et d’autodétermination.

Malgré cette réalité, la mémoire officielle de la Colombie reste largement centrée sur la figure de Bolívar, au détriment des acteurs haïtiens. Cette omission s’inscrit dans un schéma plus large de refoulement des contributions noires dans les récits nationaux postcoloniaux, où l’hégémonie criolla a souvent effacé les apports des peuples afro-descendants et caribéens. Cette marginalisation mémorielle nourrit des débats contemporains sur la reconnaissance historique et la justice mémorielle, qui impliquent de revisiter le récit national dans une perspective transatlantique et décoloniale.

La reconnaissance du rôle fondamental d’Haïti dans la libération de la Grande Colombie permettrait non seulement de corriger une injustice historique, mais aussi de renouveler la compréhension des processus révolutionnaires dans l’Atlantique noir et latino-américain. Elle ouvre la voie à une histoire plurielle, où les trajectoires nationales s’entrelacent et où les luttes contre l’oppression s’inscrivent dans une solidarité régionale. À l’heure où la Colombie tente de construire une société plus inclusive, ce retour critique sur son passé s’avère plus que jamais nécessaire.

sources : Bolívar, Simón. Cartas y Proclamas del Libertador. Éd. Vicente Lecuna. Caracas : Biblioteca Ayacucho, 1979.
Cette collection de correspondances rassemble les lettres et proclamations de Simón Bolívar. La lettre adressée à Alexandre Pétion en janvier 1816 illustre la reconnaissance du soutien haïtien dans la lutte pour l’indépendance, éclairant la dimension transnationale de la révolution bolivarienne.

James, C.L.R. The Black Jacobins: Toussaint L’Ouverture and the San Domingo Revolution. New York : Vintage Books, 1989 (1ère édition 1938).

Classique incontournable qui retrace la Révolution haïtienne, ses enjeux, et son impact sur la géopolitique des Amériques, notamment la diffusion de ses idéaux révolutionnaires vers le continent sud-américain.

cba
Ex-cadete de la Escuela Naval Militar de Venezuela

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