Shoubou et Cubano : deux voix, une ville, un rythme
Ils sont nés à Port-de-Paix. Ils ont chanté Haïti aux quatre coins du monde. Ils ont marqué à jamais l’histoire du compas. Shoubou de Tabou Combo et Cubano de Skah Shah sont deux monuments vivants de la musique haïtienne. Mais au-delà de leurs origines communes, leurs parcours révèlent des trajectoires aussi différentes que complémentaires, tissant les fils d’une même légende musicale.
Racines profondes à Port-de-Paix
Jean Élie Telfort, connu sous le nom de scène Cubano, est originaire de Port-de-Paix, en Haïti. Il y est né le 20 octobre 1950 et a commencé sa carrière musicale très jeune dans la chorale catholique « Les Frères de l’Instruction Chrétienne » de sa ville natale. C’est dans cette ambiance pieuse et mélodieuse qu’il a développé sa sensibilité artistique.
Shoubou, de son vrai nom Roger Marie Eugène, est également natif de Port-de-Paix, où il est né le 15 juillet 1947. Il a grandi dans cette ville du nord-ouest, où il a effectué toute sa scolarité primaire et secondaire, notamment au Collège Notre-Dame de Lourdes. Attaché à ses origines, il a toujours évoqué Port-de-Paix avec fierté lors de ses concerts et interviews. Leur ville natale n’a pas seulement vu naître deux artistes, elle a façonné deux styles et deux légendes.
Deux chemins, un même amour : le compas
Quand Shoubou fait vibrer les pistes de danse avec son timbre puissant et ses accents de rara et de vodou, Cubano séduit avec une voix tendre et romantique, tout en finesse et en émotion. L’un fait danser les foules, l’autre fait chavirer les cœurs. Mais tous deux ont un point commun : leur amour inébranlable pour le compas direct, qu’ils n’ont jamais trahi malgré les modes.
Dans les années 1970 et 1980, alors que la diaspora haïtienne prend racine à New York, Montréal ou Paris, leurs voix deviennent le fil conducteur de toute une génération d’exilés. Quand on entend Shoubou chanter Baissez-Bas, ou Cubano interpréter Caroline, ce sont des souvenirs d’enfance, des mariages, des bals, et même des coups de blues qui remontent à la surface.
Tabou Combo vs Skah Shah : deux écoles du compas
Shoubou, avec Tabou Combo, incarne un compas festif, rythmé, imprégné de folklore haïtien et caribéen. Les cuivres pétillent, les tambours galopent, et sa voix puissante guide la transe joyeuse. En face, Cubano mène Skah Shah avec élégance. Le compas y devient plus feutré, plus mélodique, flirtant avec la soul, le jazz et le romantisme caribéen.
Ils ne s’opposent pas. Ils se répondent. Ils enrichissent chacun, à leur manière, le répertoire d’un genre musical qui ne cesse de se réinventer.
Loyalistes dans l’âme
Là où d’autres artistes sautent d’un groupe à l’autre, Shoubou et Cubano ont fait preuve d’une fidélité exemplaire. Plus de 50 ans avec Tabou Combo pour le premier. Plus de quatre décennies avec Skah Shah pour le second. Ils ont traversé les générations, les mutations du compas, les hauts et les bas de l’industrie musicale, sans jamais renier leur identité artistique.
Leur constance est aussi une leçon : dans un monde qui zappe vite, rester fidèle à sa voix, à son groupe, à son public, c’est en soi un acte de résistance.
Voix de Port-de-Paix, voix d’Haïti
Shoubou et Cubano ne sont pas que des artistes. Ce sont des archives vivantes, des symboles culturels, des témoins d’une Haïti debout, digne, et toujours créative. Leur origine commune – Port-de-Paix – rappelle que les grandes voix ne viennent pas toujours des capitales. Par leur talent, ils ont hissé leur ville natale au rang de sanctuaire du compas.
Aujourd’hui encore, quand leurs chansons retentissent dans une voiture, un marché, une station de radio, quelque chose d’intemporel se produit : un frisson, un sourire, un petit miracle haïtien.
Elensky Fragelus
