8 octobre 2025
ULCC vs Impunité : Pourquoi les enquêtes ne suffisent pas à punir les corrompus ?
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ULCC vs Impunité : Pourquoi les enquêtes ne suffisent pas à punir les corrompus ?

Les « braqueurs de la BNC » toujours en poste : Jusqu’où va l’impunité en Haïti ?

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Alors que Transparency International classe Haïti parmi les pays les plus corrompus de la planète dans son rapport 2025, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) n’a émis aucun commentaire officiel sur ce constat alarmant. Ce silence questionne d’autant plus que plusieurs institutions stratégiques, dont le Fonds National de l’Éducation (FNE), font l’objet de soupçons persistants de mauvaise gestion et de détournement de fonds sans que l’ULCC ne s’en soit officiellement saisie. Comment expliquer cette inertie sélective dans un contexte où la corruption est non seulement documentée par des observateurs internationaux, mais aussi vécue quotidiennement par les citoyens haïtiens ? Cette absence d’initiatives sur des dossiers aussi sensibles jette une ombre sur la cohérence, voire la volonté politique, de l’organe chargé de la lutte anticorruption.

Les tous derniers rapports de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) en Haïti, publiés cette semaine, dressent un tableau accablant de la gestion publique : détournements de fonds, abus de fonction, corruption endémique, pots-de-vin, clientélisme. Des affaires emblématiques traduisent cette dérive systémique. Parmi elles, le cas de l’ancien Protecteur du Citoyen, Renan Hédouville, dont les « voyages fictifs » ont coûté à l’État plus de 16,5 millions de gourdes, illustre une forme de prédation institutionnelle. De même, l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA) est pointé du doigt pour des contrats de restauration frauduleux dépassant 107 millions de gourdes. Ces investigations, solidement étayées par des documents probants, qualifient les infractions et proposent des suites judiciaires, conformément au mandat légal de l’ULCC, inscrit dans le décret du 8 septembre 2004.

Mais la précision méthodologique des enquêtes ne garantit en rien leur efficacité. Le paradoxe est là : l’ULCC révèle, documente, accuse — mais les institutions chargées de traduire ces recommandations en actes restent muettes. Ainsi, les trois individus identifiés dans le scandale de la Banque Nationale de Crédit (BNC) — Louis Gérald Gilles, Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire — continuent d’occuper leurs fonctions comme si de rien n’était. Ce silence officiel, voire cette tolérance implicite, remet en question l’autorité pratique de l’ULCC et illustre un dysfonctionnement plus large de la chaîne de redevabilité publique.

L’ULCC, bien qu’investie d’une mission stratégique, demeure une institution à compétence limitée : elle enquête, qualifie juridiquement, mais n’a ni pouvoir de coercition ni capacité de sanction. La justice et la Cour Supérieure des Comptes, seules habilitées à déclencher des poursuites ou à imposer des réparations, constituent le maillon faible de ce dispositif. Dans un contexte où l’indépendance du pouvoir judiciaire reste sujette à caution et où l’inertie administrative est devenue norme, les rapports de l’ULCC risquent de se réduire à des archives de l’indignation.

Ce déséquilibre entre production d’enquêtes et application des sanctions alimente un cycle délétère. Il entretient l’idée que la dénonciation suffit, que l’indignation publique peut remplacer la justice, et que les institutions peuvent se soustraire à l’obligation d’agir. La persistance de l’impunité n’érode pas seulement la crédibilité de l’ULCC ; elle neutralise tout espoir de réforme véritable et dissuade les lanceurs d’alerte potentiels.

En définitive, le cas haïtien soulève une interrogation centrale : à quoi sert un organe de lutte contre la corruption lorsque son travail, si rigoureux soit-il, reste sans effet juridique ? La réponse ne réside pas dans un simple renforcement technique de l’ULCC, mais dans une refondation plus large du système judiciaire et administratif. Une réforme effective devrait viser à rendre exécutoires les recommandations de l’institution, à garantir la reddition de comptes, et à rompre le lien de connivence entre politiques, administrateurs et juges. En l’absence de cette synergie entre enquête, jugement et exécution, même les rapports les mieux étayés demeureront des pièces d’archives : éloquentes, mais inopérantes.

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