Port-au-Prince, 8 avril 2025 — La spirale de violence qui ravage Haïti n’épargne plus les journalistes, devenus les cibles privilégiées d’une société en décomposition, où gangs armés, autorités désarmées et population désespérée convergent dans une défiance totale à l’égard de la presse. Selon le Comité pour la Protection des journalistes (CPJ), au moins un journaliste a été enlevé et deux autres ont échappé de peu à des tentatives de lynchage au cours de la dernière semaine.
Roger Claudy Israël, propriétaire de la station RC FM, ainsi que son frère, ont été enlevés à Mirebalais par le gang Viv Ansanm. Dans une vidéo publiée le 4 avril, les ravisseurs ont menacé de les exécuter. Ce gang terroriste fédère depuis 2023 plusieurs groupes criminels qui contrôlent aujourd’hui une grande partie de Port-au-Prince et s’étendent désormais vers le centre du pays. Leur attaque contre Mirebalais le 31 mars dernier s’est soldée par la mort de plusieurs civils, l’évasion de 500 détenus et le déplacement forcé de milliers d’habitants, dont une douzaine de journalistes.
Jean Christophe Collègue, ancien correspondant de Voice of America, est toujours porté disparu après que sa maison a été incendiée. Deux autres journalistes, agressés à Canapé-Vert lors de manifestations antigouvernementales, rapportent avoir été pris à partie par des groupes hostiles : « La police, les gangs et même les manifestants sont tous contre nous », témoigne l’un d’eux, blessé à la tête et à la cheville.
Le journaliste salvadorien Juan Martínez d’Aubuisson, reconnu pour ses enquêtes sur les conflits armés, a quant à lui été sauvagement battu à Port-au-Prince le 19 mars, avant d’être sauvé in extremis par un manifestant et de fuir le pays : « Une seule erreur et vous êtes réduit en cendres », confie-t-il, après avoir vu des corps calcinés joncher les rues.
À cette insécurité généralisée s’ajoute une impunité institutionnalisée, qui rend toute justice illusoire. Haïti figurait en tête de l’Indice mondial de l’impunité 2024 du CPJ, un classement qui mesure l’incapacité des États à poursuivre les auteurs de meurtres de journalistes. Ce constat accablant ne relève pas de la conjoncture : il s’inscrit dans une longue tradition d’inaction, où l’assassinat de journalistes — de Jean Dominique (2000) à Diego Charles (2021) — n’a donné lieu à aucune condamnation effective.
Alors que la liberté d’informer est considérée comme l’un des piliers de toute démocratie, sa régression brutale en Haïti témoigne d’un effondrement plus large : celui de l’État, de la justice et de la confiance citoyenne. Dans un contexte où les journalistes doivent fuir, se taire ou risquer leur vie, c’est le droit même à l’information qui vacille — et avec lui, la possibilité d’un sursaut collectif.,
