Les documents américains déclassifiés depuis peu montrent que près de la moitié des diplomates américains à l’étranger étaient en fait des agents de la CIA à l’époque où John F. Kennedy a entamé son mandat. Dès 1961, le président s’est inquiété de l’influence croissante des services de renseignement sur la diplomatie.
Un président confronté à une machine déjà autonome
Le 20 mars 2025, les Archives nationales des États-Unis ont levé le voile sur des milliers de pages liées à l’assassinat du président John F. Kennedy. Si l’attention publique s’est souvent concentrée sur les circonstances de sa mort, ces nouveaux documents ouvrent un autre front de réflexion : celui du pouvoir souterrain de la CIA à l’aube des années 1960.
Un mémo confidentiel, rédigé par l’historien et conseiller présidentiel Arthur Schlesinger Jr., alerte Kennedy en 1961 sur l’ampleur de l’infiltration de la CIA dans les représentations diplomatiques américaines. Selon ce document, 47 % des diplomates chargés des affaires politiques à travers le monde n’étaient pas affiliés au Département d’État, mais à l’agence de renseignement. À Paris, 123 membres du personnel diplomatique relevaient en réalité de la CIA, allant jusqu’à monopoliser les liens avec certains hauts responsables français.
Le cas chilien : une vitrine de l’influence cachée
Plus frappant encore, les archives révèlent qu’au moment de l’arrivée de Kennedy à la Maison-Blanche, 11 des 13 diplomates politiques à l’ambassade américaine de Santiago du Chili étaient des agents sous couverture. Ce chiffre – presque total – interroge sur la finalité de cette présence : simple surveillance dans un pays stratégique du Cône Sud ou tentative d’influence directe sur la scène politique locale ?
Ces révélations ne sont pas anodines : elles montrent une CIA opérant de manière autonome, parfois en contradiction avec les objectifs diplomatiques définis par l’administration Kennedy. La distinction entre diplomatie et renseignement devient ici difficile à tracer. Kennedy, qui souhaitait affirmer une ligne internationale plus nuancée, se heurtait déjà à un appareil d’État tentaculaire, prêt à prendre l’ascendant sur les voies officielles.
La diplomatie parallèle : une stratégie assumée ?
Ce que montrent ces documents, ce n’est pas uniquement un désaccord ponctuel entre le président et ses services. Il s’agit d’une stratégie structurelle de contournement de la diplomatie traditionnelle. En insérant ses agents dans les ambassades, la CIA disposait non seulement d’un accès direct à des informations sensibles, mais aussi d’un pouvoir d’influence considérable sur les orientations politiques locales.
Schlesinger, dans son mémo, va plus loin : il affirme que la CIA possédait alors presque autant de personnel en poste officiel à l’étranger que le Département d’État lui-même, avec environ 3 900 agents contre 3 700 diplomates. Une infiltration si profonde ne peut être perçue comme accidentelle. Elle reflète une vision de la politique étrangère où le secret prévaut sur la négociation, et l’action unilatérale sur la coordination interinstitutionnelle.
Quelle maîtrise politique face à l’ombre ?
Ces données posent la question de la marge de manœuvre réelle dont disposait Kennedy. Le président, pourtant nouvellement investi, prenait conscience d’un déséquilibre au sein même de son administration. L’institution censée protéger la sécurité nationale se substituait, dans certains contextes, au pouvoir politique démocratiquement élu. La CIA apparaissait ainsi non seulement comme un outil, mais comme un acteur politique à part entière, capable de peser sur la scène internationale selon ses propres logiques.
Dès lors, peut-on encore considérer que Kennedy contrôlait réellement sa politique étrangère ? Ou assistait-on déjà à l’émergence d’un État dans l’État, fonctionnant selon des mécanismes opaques, échappant au regard public comme à la supervision du Congrès ?
source : Archives Nationales des Etats-Unis