10 octobre 2025
Un communiqué mardi-gras du CPT transforme la vacance du pouvoir en pouvoir de la vacance
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Un communiqué mardi-gras du CPT transforme la vacance du pouvoir en pouvoir de la vacance

minute de la rédaction

Le communiqué s’affiche, austère et dérisoire à la fois, sur fond bleu républicain, affublé de l’incontournable en-tête officiel de la République d’Haïti. En lettres droites, à la typographie administrative rigide, il proclame, sans trembler, deux jours de congé national à l’occasion des festivités carnavalesques. Suspendue dans l’espace numérique, ce communiqué mardi-gras flotte, étranger aux réalités qu’il prétend organiser. Ce n’est pas tant le contenu qui frappe l’observateur, mais bien son incongruité : annoncer la suspension des activités dans un pays où la notion même d’activité relève désormais de la fiction.

Dans ce territoire où les écoles ont depuis longtemps refermé leurs grilles rouillées, où les routes nationales sont devenues des corridors d’effroi, où l’hôpital général lui-même survit dans une semi-clandestinité logistique, quelle portée attribuer à cette proclamation ? Faut-il en conclure que les employés absents, dispersés entre l’exil intérieur et la fuite réelle, sont officiellement autorisés à prolonger leur inexistence administrative ? À quoi bon annoncer un congé dans un espace où l’interruption du quotidien n’est plus une exception, mais une condition d’existence ?

Le ridicule, ici, n’est pas accidentel ; il est constitutif du geste gouvernemental. Il ne s’agit plus de réguler le temps social, mais de produire un simulacre d’ordre, une mise en scène de la normalité administrative, comme si la parole étatique survivait par la seule force de son écho. En proclamant des jours fériés dans un pays où le travail lui-même s’efface derrière les barricades et les murs de fortune, le gouvernement ne fait pas que réorganiser le calendrier : il théâtralise sa propre impuissance.

Et c’est là que la satire s’invite, irrésistible. Le même gouvernement qui, dans sa frénésie constitutionnelle, envisage de rayer de la mémoire nationale le 10 octobre, date de l’assassinat de l’Empereur Dessalines, trouve opportun de sanctuariser deux journées de congé carnavalesque etde repos. Ainsi, la mémoire de la fondation nationale s’efface au profit de l’interruption festive ; l’amnésie programmée se conjugue à la célébration de la vacuité. Ce gouvernement ne légifère pas sur le temps, il le disloque ; il ne régule pas la mémoire, il la parodie.

Dans cette République suspendue entre la violence quotidienne et la farce administrative, le communiqué du 3 mars n’a rien d’un texte ordinaire. Il est le symptôme d’une pathologie étatique où la parole officielle ne vise plus à organiser le réel, mais à lui survivre. Ce n’est pas un décret ; c’est une mise en scène. Ce n’est pas une annonce ; c’est une performance. Ce communiqué ne dit pas : « Reposez-vous ». Il dit : « Continuez à faire semblant ».

Alors oui, la question se pose, ironique et amère : ce congé annoncé avec la solennité d’un édit impérial s’applique-t-il aussi aux fantômes qui peuplent l’hôpital général fermé, aux élèves qui n’ont plus vu une salle de classe depuis des mois, aux familles cloîtrées dans leurs maisons assiégées ? Ce congé, dans les territoires perdus de la République, s’adresse-t-il à ceux qui ont depuis longtemps congédié toute espérance ? Il faut bien, au moins, reconnaître au gouvernement haïtien – de doublure – cette capacité singulière : transformer la vacance du pouvoir en pouvoir de la vacance.

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