18 mars 2025
L’Edito du Rezo. De l’Indépendance à l’annexion : L’inacceptable proposition indécente de William Ruto pour Haïti
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L’Edito du Rezo. De l’Indépendance à l’annexion : L’inacceptable proposition indécente de William Ruto pour Haïti

Celui qui prétend être le ministre haïtien des Affaires Etrangères osera-t-il, sans détour ni tergiversation, opposer une réponse immédiate à l’indécente proposition de William Ruto ? Ou bien, englué dans le marécage des silences diplomatiques, se contentera-t-il d’un mutisme coupable, laissant ainsi l’outrage se fondre dans l’oubli ?

Haïti, berceau de la première république noire libre, a arraché son indépendance le 1ᵉʳ janvier 1804 au prix d’une révolution sanglante contre le joug colonial français. Cette lutte héroïque, marquée par des sacrifices incommensurables, a inscrit Haïti dans l’histoire comme un symbole de résistance et de quête de liberté. À l’inverse, le Kenya, de William Ruto, après des décennies de colonisation britannique, a emprunté une voie distincte vers la souveraineté. Bien que marqué par la révolte des Mau Mau dans les années 1950, le pays a finalement obtenu son indépendance le 12 décembre 1963, principalement par le biais de négociations et de réformes politiques. Cette transition, moins violente que celle d’Haïti, reflète une stratégie différente dans la quête d’autodétermination.

L’intervention du président kenyan William Ruto au 38ᵉ sommet ordinaire de l’Union africaine (UA) dénote une tentative subtile mais profondément troublante de redéfinir l’identité géopolitique d’Haïti, le premier pays noir au monde ayant lutté pour l’abolition de l’esclavage. En demandant à l’UA de renforcer le statut d’Haïti en tant que « sixième région d’Afrique », elle adopte une approche paternaliste qui ignore totalement la volonté souveraine des 12 millions d’habitants d’Haïti. Derrière cette rhétorique de solidarité historique, une proposition indécente, se cache une dangereuse réécriture de l’histoire, reléguant Haïti, première nation noire libre au monde, à une périphérie symbolique de l’Afrique, plutôt qu’à sa place légitime dans les Amériques.

Si les liens historiques entre Haïti et l’Afrique ne font aucun doute – la première république noire du monde a été fondée par des esclaves africains en révolte – il est trompeur d’utiliser cette histoire comme argument pour une intégration forcée dans une entité continentale dont Haïti n’a jamais fait partie. Le projet de William Ruto représente une rupture fondamentale avec la logique panafricaniste classique, qui a toujours défendu l’autodétermination des peuples noirs sans imposer une nouvelle forme d’annexion culturelle et politique.

De ce point de vue, l’initiative kenyane semble servir une stratégie de positionnement international plutôt que de répondre aux besoins réels d’Haïti. Plutôt que de mobiliser les instances internationales pour répondre aux crises profondes – préfabriquées – du pays – insécurité galopante, effondrement des institutions, désintégration de l’Etat – le président kenyan préfère utiliser Haïti comme un outil pour consolider son influence sur l’UA et le Conseil de sécurité de l’ONU. Derrière la question identitaire se cache un enjeu bien plus pragmatique : l’accès aux financements internationaux, notamment par la transformation de la Mission multinationale de sécurité (MSS) en opération de maintien de la paix de l’ONU.

Ruto, et avec lui l’UA, n’a manifestement pas jugé bon de consulter les Haïtiens sur cette proposition. Qui a demandé aux Haïtiens s’ils voulaient être considérés comme une extension de l’Afrique ? Ce mépris de la souveraineté nationale d’Haïti est d’autant plus ironique que le pays lui-même a inspiré la lutte pour l’indépendance de nombreuses nations africaines, notamment le Kenya. Alors que les Etats africains luttent depuis des décennies pour se libérer de la tutelle coloniale et affirmer leur autonomie, Haïti se voit attribuer une tutelle symbolique qui ne correspond ni à sa réalité politique ni à sa situation géographique.

Si la solidarité avec Haïti doit exister, elle ne peut être imposée sans un dialogue approfondi avec les citoyens haïtiens eux-mêmes. Ce projet idéologique mascarade non seulement ignore les aspirations d’un peuple, mais s’inscrit dans une vision condescendante où Haïti est ressentie comme une terre orpheline à réintégrer dans un imaginaire de l’Afrique maternelle.

Loin des déclarations grandiloquentes, ce dont Haïti a besoin aujourd’hui, c’est d’une coopération pragmatique et respectueuse de son indépendance. Si l’UA et les pays africains veulent vraiment aider Haïti, s’ils y parviennent, ils peuvent s’engager dans des programmes d’appui institutionnel, promouvoir des échanges économiques équitables ou défendre les intérêts haïtiens dans les forums internationaux. Mais la volonté de faire d’Haïti une « sixième région d’Afrique » n’est qu’une posture politique indécente qui cache mal le manque d’engagement du continent africain à l’égard d’Haïti jusqu’à présent.

Ruto exploite une proximité historique pour légitimer une manœuvre dont les Haïtiens ne sont ni les instigateurs ni les bénéficiaires. L’histoire a déjà montré que lorsqu’un peuple se voit imposer une identité qu’il n’a pas choisie, il en résulte plus de chaos que de prospérité. Haïti n’a pas gagné son indépendance pour être assigné à un continent qu’il ne revendique pas. La solidarité africaine, si elle doit exister, doit se fonder sur le respect des réalités et des aspirations haïtiennes, et non sur des décisions unilatérales déconnectées du terrain.

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