Par Me Louimann M.
Depuis plusieurs années, Haïti est plongée dans des crises multidimensionnelles, conséquences directes d’une gouvernance défaillante et d’une gestion publique chaotique.
Si certains hommes et femmes ont accédé à des postes de responsabilité grâce à des accords politiques fragiles ou des circonstances opportunistes, leur devoir premier reste de servir le bien commun. Pourtant, au lieu de s’attaquer aux problèmes urgents que sont l’insécurité, le chômage, la crise des déplacés internes ou encore la famine – autant de violations flagrantes des droits humains –, ces dirigeants semblent uniquement préoccupés par l’organisation d’élections dans un contexte pour le moins explosif.
Comment peut-on parler d’élections libres alors que plus de 5,4 millions d’Haïtiens souffrent d’insécurité alimentaire, que plus de 702 973 personnes sont déplacées internes et que la capitale, Port-au-Prince, ainsi que ses environs, sont sous le contrôle des groupes armés ?
Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le gouvernement de Fils-Aimé doivent impérativement remplir ces conditions sine qua non avant toute tentative d’organisation d’élections en Haïti.
- Restaurer la sécurité à l’échelle nationale
L’insécurité gangrène tous les aspects de la vie en Haïti. Des écoles et universités sont fermées ou dysfonctionnelles, y compris l’Université d’État d’Haïti. Les églises, garantes d’un certain équilibre social, sont elles aussi la cible d’attaques répétées.
La capitale et ses périphéries sont prises en otage par des groupes armés, rendant inaccessibles plusieurs communes et départements. Du Grand Nord au Grand Sud, les axes routiers sont sous contrôle, paralysant l’économie et aggravant le chômage.
L’insécurité crée un climat de peur généralisée, entravant la libre circulation des citoyens et compromettant l’exercice de leurs droits les plus élémentaires. Dans ces conditions, comment organiser des élections crédibles ?
Prétendre tenir un scrutin dans un pays où l’État a perdu tout contrôle, c’est exposer les citoyens à une mascarade électorale et à un bain de sang programmé.
Restaurer un climat de sécurité et de confiance est une nécessité absolue. Sans cela, aucune élection ne saurait être libre et indépendante, et le vote serait inévitablement entaché d’irrégularités, de fraudes et d’intimidations.
- Réviser la liste électorale pour garantir un scrutin transparent
Une révision exhaustive de la liste électorale est indispensable pour assurer l’intégrité du processus. Plusieurs aspects doivent être pris en compte, notamment :
a) Les citoyens ayant perdu leur carte d’identification nationale
b) Les déplacés internes ayant changé de commune ou de département
c) Les personnes décédées, dont les noms doivent être retirés des registres électoraux
Lors des précédentes élections, des irrégularités graves ont été constatées, notamment des votes attribués à des personnes déclarées mortes, souvent au profit d’un groupe politique donné.
Aujourd’hui, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 702 973 personnes sont déplacées internes, dont une majorité d’enfants. Le rapport de l’ECCREDHH, un organisme majeur de défense des droits humains, souligne lui aussi l’ampleur de la crise humanitaire.
Comment ces citoyens pourront-ils exercer leur droit de vote si aucune mesure spécifique n’est prise en amont et en aval du processus électoral ?
De plus, dans ce climat de peur et de précarité, les électeurs sont-ils psychologiquement et mentalement disposés à voter ? Cette question est essentielle, tant leur vulnérabilité est grande dans les abris provisoires.
- Remplacer Magalie Georges au CEP et organiser une consultation pour désigner un représentant légitime du secteur des droits humains
La nomination de Magalie Georges comme représentante du secteur des droits humains au Conseil Électoral Provisoire (CEP) est entachée d’irrégularités. Issue de l’accord Montana, sa désignation a été imposée unilatéralement par le CPT, sans aucune concertation avec les organisations de défense des droits humains ni avec les figures majeures du secteur.
Même le Bureau de suivi de l’accord Montana a dénoncé cette décision arbitraire. Une telle nomination, sans légitimité ni consensus, risque d’aggraver la crise post-électorale et de saper davantage la crédibilité du CEP.
Conclusion : Élections oui, mais pas à n’importe quel prix
L’organisation d’élections est une nécessité pour la démocratie. Toutefois, si les autorités ne prennent pas les mesures requises pour garantir un processus transparent et inclusif, elles risquent de provoquer une nouvelle crise post-électorale.
Vive la Démocratie !
Vive le Respect des Droits Humains !
Vive une société Juste !
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Me. Louimann MACEUS, Av.
Formation Spécialisée en Droits Humains et en Droit International Humanitaire CUHD/GENÈVE.
Membre Amnesty International.
Formation Spécialisée en Politique Publique des Droits de l’Homme a IPPDH/CIDH/ Mercosur.
Ex-Point Focal OSI-HAÏTI (objectif Sciences international).
Ethnojuriste@gmail.com
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