Qui lit petit, lit toute sa vie : voilà le leitmotiv d’Esther Petit-Homme. Normalienne de formation, elle poursuit actuellement un Master I en didactique du français à l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti. Depuis sept ans, elle enseigne la littérature et la langue française dans plus de 5 écoles à Port-au-Prince.
Esther Petit-Homme est une véritable passeuse de savoir. Passionnée, dynamique, enthousiaste, pour elle, « il n’y aura pas de changement pour Haïti sans transmission, sans la lumière ». Cette transmission, qu’elle considère essentielle, permettra aux élèves de son pays de découvrir les classiques de la littérature, d’interroger l’histoire et de mieux préparer l’avenir. Membre fondatrice du concours Jacques Stephen Alexis, la native de Port-au-Prince est convaincue que « la littérature peut aider Haïti à trouver son identité et à changer de vision ».
« Parfois, je propose aux élèves de découvrir les grands classiques de la littérature haïtienne pour qu’ils aient une meilleure idée de notre pays. Les thèmes de notre littérature sont très universels. Je les exhorte à lire Dany Laferrière, Gary Victor, Yanick Lahens, Kettly Mars, Marie-Célie Agnant, Lyonel Trouillot et tant d’autres voix importantes. Je les invite même à écouter des podcasts sur la culture. C’est à nous, professeurs, de faire lire les élèves, mais sans les forcer, avec élégance. Les livres sont là pour être lus. Je me consacre à mon métier depuis longtemps dans ce but : faire lire les élèves. Je suis toujours fière de les entendre parler des livres, que ce soit en classe ou à la radio. »
Être enseignant, c’est être chevalier de lumière et d’espoir. « Il n’est pas donné à tout le monde d’enseigner. Être enseignant ou enseignante est un art, un sacerdoce », explique Esther Petit-Homme. Elle poursuit en racontant ce qui l’a poussée à s’engager dans ce métier : « C’est l’amour de la lecture et l’envie de transmettre cet amour qui m’ont guidée. La littérature est pour moi un miroir de nos identités, de nos luttes et de nos aspirations. Je dis souvent à mes élèves que pour comprendre une époque donnée, il faut se tourner vers la littérature : c’est une boussole. En tant que femme, je ressens aussi une responsabilité particulière. Je veux contribuer à une éducation qui valorise les récits féminins et qui donne une voix aux femmes dans notre culture. »
L’héritage de la littérature haïtienne
Est-il encore pertinent aujourd’hui de parler d’une littérature haïtienne ? Pour Esther Petit-Homme, la réponse est un « Oui » sans équivoque : « Il existe une littérature haïtienne riche et profondément ancrée dans notre histoire. Les points forts de cette littérature résident dans la diversité des thèmes abordés, l’oralité qui la relie à nos traditions africaines et l’engagement des écrivains face aux réalités sociales et politiques. Des figures emblématiques comme Etzer Vilaire, Jacques Roumain, René Depestre, Gary Victor ou Yanick Lahens ont su marier le local et l’universel, faisant de notre littérature une voix unique parmi les voix du monde. Le milieu scolaire reste le meilleur endroit pour préserver ce patrimoine. »
Le système éducatif haïtien fait face à de graves défis. Comment les cours d’Esther Petit-Homme peuvent-ils contribuer à une amélioration ? « Dans mes cours, j’essaie d’aller au-delà des programmes académiques », explique-t-elle. « J’encourage mes élèves à réfléchir de manière critique, à analyser les textes non seulement comme des œuvres littéraires, mais aussi comme des reflets de notre société. Je leur apprends à argumenter, à débattre et à voir la littérature comme un outil pour comprendre le monde et le changer. En ce sens, je m’efforce de former des citoyens conscients et engagés, capables de porter une vision nouvelle pour notre pays », dit-elle.
C’est un travail exigeant, qui demande beaucoup de motivation et de savoir-faire, mais elle croit que l’éducation peut être le socle de la transformation sociale. Elle résiste. « La littérature a le pouvoir d’éveiller les consciences, de nourrir les rêves et les ambitions, et d’inspirer des transformations profondes. Les écrivains de la belle époque, tels que Justin Lhérisson ou Oswald Durand, ont su enflammer une génération autour de projets culturels et identitaires. Aujourd’hui, notre défi est de reconnecter les jeunes à cette tradition tout en leur montrant que leur propre voix compte. Ils doivent comprendre qu’ils ont leur mot à dire et qu’ils peuvent changer les choses. »
Wincy Lindor