Par Patrick Prézeau Stephenson
Le Proclamation d’Indépendance publiée le 29 novembre 1803 à Fort-Dauphin (aujourd’hui Fort-Liberté) constitue une pierre angulaire de l’histoire haïtienne. Signée par Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Nicolas Geffrard-Clervaux, elle déclarait l’indépendance de Saint-Domingue (Haïti) vis-à-vis de la domination coloniale française. Ce document, souvent salué comme un témoignage de la résilience et de la vision des dirigeants haïtiens, se révèle, à y regarder de plus près, porteur de compromis qui posent des questions sur sa position envers la justice et la reddition de comptes [1].
Une déclaration audacieuse dans l’âge des lumières
Le langage de cette proclamation reflète la détermination ardente de Dessalines et de ses contemporains à abolir l’esclavage et à protéger leur liberté durement acquise. La phrase, « Nous avons juré de punir quiconque oserait nous parler d’esclavage », est aussi claire que défiante. Elle capture l’esprit d’une nation résolue à recouvrer sa dignité[1].
Cependant, le ton conciliant envers les anciens colons français est frappant. La Proclamation offrait une voie de retour à ceux qui avaient « renoncé à leurs anciennes erreurs », leur permettant de vivre en paix et même de récupérer leurs propriétés. Cette clémence, probablement stratégique, visait à projeter une vision de réconciliation et de gouvernance aux yeux d’une audience internationale, beaucoup voyant dans le soulèvement haïtien un dangereux précédent pour les populations asservies du monde entier[1].
Publiée à Philadelphie, un foyer de pensée révolutionnaire et de figures des Lumières comme Benjamin Franklin, la Proclamation s’inscrit rhétoriquement dans les idéaux de liberté et de fraternité. Mais sa prudence pourrait aussi avoir été influencée par la présence d’une importante communauté d’exilés de Saint-Domingue dans cette ville, incluant de nombreux anciens planteurs français [2,3]. Était-ce une tentative de les apaiser pour gagner leur soutien politique ou financier ?
Trop clément ou stratégie avisée ?
Si la Proclamation est un chef-d’œuvre de diplomatie révolutionnaire, sa clémence envers les anciens colons soulève des questions éthiques. Un document enraciné dans la justice peut-il réellement accueillir ceux qui ont directement bénéficié et perpétué un système d’esclavage ?
La distinction faite entre les colons « humains » et « tyranniques » semble raisonnable en surface, mais elle reflète une tension plus large au sein de la direction révolutionnaire haïtienne[1] . Dessalines, qui ordonnera plus tard les massacres de 1804 contre la population française restante, apparaît ici équilibrant le pragmatisme politique avec les exigences radicales de la justice. Bien que la promesse de punir ceux qui cherchaient à rétablir l’esclavage soit sans équivoque, la clémence conditionnelle envers d’autres colons dilue cette résolution.
Certains critiques pourraient dire que la Proclamation a manqué une opportunité de poser un précédent clair pour la justice plutôt que pour la réconciliation. Son insistance sur la paix et la réintégration risque d’ignorer les souffrances profondes endurées sous l’esclavage—un héritage qui exigeait des comptes.
La connexion de Philadelphie : Un réseau révolutionnaire
Le choix de publier la Proclamation à Philadelphie est particulièrement significatif. En tant que ville profondément connectée aux idéaux des Lumières et aux réseaux révolutionnaires, Philadelphie symbolisait une scène mondiale pour la déclaration d’Haïti. La correspondance de Benjamin Franklin avec le Cercle des Philadelphes, une société scientifique progressiste de Cap-Français (aujourd’hui Cap-Haïtien), souligne les liens intellectuels entre les Amériques et Saint-Domingue[2, 3].
Ce contexte suggère que la Proclamation n’était pas seulement une déclaration d’indépendance, mais aussi une tentative de légitimation internationale. En s’adressant aux audiences américaines et européennes, les dirigeants haïtiens cherchaient à contrer la narration selon laquelle leur révolution n’était qu’un acte de vengeance. Au lieu de cela, ils l’ont encadrée comme une lutte légitime pour les droits humains et la liberté.
Un héritage mitigé
La Proclamation du 29 novembre 1803 demeure un document fondamental dans l’histoire de la décolonisation et des droits humains. Elle capture les aspirations d’un peuple déterminé à démanteler un système oppressif et à tracer un nouveau chemin pour l’humanité.
Cependant, son ton conciliant envers les anciens colons laisse un héritage complexe. Bien qu’elle reflète une approche pragmatique de la construction nationale, elle met également en lumière la tension entre justice et diplomatie qui a longtemps marqué l’histoire d’Haïti. Les compromis de la Proclamation, jugés par certains comme trop cléments, soulignent les difficultés d’équilibrer idéaux révolutionnaires et réalités de gouvernance dans un environnement international hostile.
Alors qu’Haïti continue de naviguer dans son présent turbulent, les leçons de ce document fondateur restent pertinentes. Il nous pousse à réfléchir à la manière dont les nations émergentes de l’oppression peuvent concilier justice et pragmatisme, et à la manière dont elles peuvent affirmer leur souveraineté tout en recherchant la reconnaissance sur la scène mondiale. Cette première Proclamation d’Indépendance, à la fois audacieuse et imparfaite, nous rappelle que la lutte pour la liberté concerne autant les compromis que nous faisons que les idéaux que nous aspirons à atteindre.
Références
[1] Rezo Nodwès, 2024, Haïti : 1er acte de Proclamation de l’Indépendance à Fort-Liberté, le 29 nov. 1803, signé par Dessalines, Christophe et Clerveaux. https://rezonodwes.com/?p=347505 Publié le 29 Novembre 2024.
[2] https://francoisfournierdepescay.blogspot.com/2020/02/sur-les-traces-de-la-descendance-de.html
[3] Personal communications, Conversation with Patrick Tardieu, eminent Haitian Librarian.Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.comMen anpil chaj pa lou. Mèsi pou pataje manifès la:Kilès nouye : https://manifeste-appel-du-lambi-2024.netlify.app/ Vizite paj akèy la: https://shorturl.at/cozFMLi sou entènèt: https://shorturl.at/rBOTZTelechaje deniè vèsyon 2024 la: https://shorturl.at/g08Do