L’enfant prodigue indésirable : Les églises kényanes tournent le dos au gouvernement Ruto
Lorsque William Ruto accédait à la présidence en 2022, porté par une campagne enracinée dans la foi et appuyée par de puissantes figures ecclésiastiques, peu auraient imaginé que ces mêmes institutions deviendraient ses critiques les plus acerbes. Pourtant, en novembre 2024, les églises kényanes, autrefois des alliées fidèles, ont symboliquement fermé la porte au gouvernement Ruto, renvoyant les dons présidentiels et dénonçant l’instrumentalisation des lieux de culte.
Un passé étroitement lié aux autels
Ruto, connu pour sa dévotion chrétienne, avait fait de sa foi un pilier central de son ascension politique. Ses campagnes se déroulaient souvent sur les pupitres d’églises, où il mobilisait les fidèles tout en promettant des financements généreux pour les institutions religieuses. L’Église joua un rôle crucial dans sa victoire, ses dirigeants galvanisant les fidèles pour le porter au pouvoir. En retour, Ruto devint un bienfaiteur régulier des églises, consolidant une relation qui semblait inébranlable.
Cependant, cette harmonie s’est fissurée. L’archidiocèse de Nairobi, en conformité avec les directives de la Conférence des Évêques Catholiques du Kenya (KCCB), a récemment renvoyé 2,8 millions de Ksh offerts par le président Ruto et le gouverneur de Nairobi, Johnson Sakaja, au cours d’une cérémonie à l’église catholique de Soweto. Les fonds, initialement destinés à la construction de la maison paroissiale et au soutien des organisations missionnaires, ont été refusés en bloc, marquant une rupture sans précédent.
Une opposition qui s’affirme
Cette décision de l’Église catholique s’inscrit dans une dynamique plus large de contestation du gouvernement Ruto par les institutions religieuses. Depuis la promulgation de la loi de finances 2024, qui a introduit de nouvelles taxes impopulaires, l’Église s’est progressivement érigée en porte-voix des doléances populaires. Les manifestations de juin, marquées par des violences meurtrières et des actes de répression étatique, ont amplifié le fossé entre le gouvernement et ses anciens alliés religieux.
La KCCB et d’autres confessions chrétiennes ont dénoncé ce qu’elles appellent une « culture du mensonge » instaurée par le gouvernement. Les critiques portent sur plusieurs fronts : augmentation des taxes, réforme controversée du système éducatif, gestion opaque de l’autorité sanitaire sociale, et multiplication des disparitions forcées. Pour l’Église, ces manquements sont symptomatiques d’une gouvernance déconnectée des besoins du peuple.
Un rejet symbolique des dons
Le rejet des contributions financières de Ruto par l’archidiocèse de Nairobi est lourd de sens. L’archevêque Philip Anyolo a fermement déclaré que l’Église refuse désormais toute association avec des dons motivés par des intérêts politiques. Ce geste incarne une volonté de protéger l’intégrité des institutions religieuses face aux tentatives de manipulation politique.
Les dons présidentiels ne sont pas les seuls à avoir été refusés. Les promesses d’un bus paroissial et d’un financement supplémentaire de 3 millions de Ksh pour d’autres projets ont également été rejetées. Ce rejet public, considéré comme un affront direct à l’autorité présidentielle, a envoyé un message clair : l’Église ne sera plus un tremplin politique pour Ruto.
Un président en quête de rédemption
Conscient de l’ampleur de la crise, Ruto a tenté d’adopter un ton conciliant. Lors d’une cérémonie religieuse le 16 novembre, il a reconnu les critiques formulées par les évêques et promis de réexaminer les questions soulevées. Toutefois, ses propos ont été accueillis avec scepticisme, et ses tentatives pour regagner la confiance de l’Église semblent jusqu’à présent infructueuses.
Un réveil spirituel applaudi
Cette rupture entre l’Église et le gouvernement a été saluée par de nombreux observateurs. Le professeur et activiste Patrick Lumumba a qualifié cette prise de position de « réveil moral » des institutions religieuses, longtemps critiquées pour leur proximité avec le pouvoir. Lumumba a exhorté les Kenyans à soutenir l’Église dans sa quête de moralité et de justice, soulignant l’importance de freiner l’utilisation des dons pour dissimuler des manquements politiques.
Une fracture durable ?
Le divorce entre les églises kényanes et le gouvernement Ruto reflète un malaise plus profond au sein de la société kenyane, où les institutions religieuses, autrefois neutres ou alliées au pouvoir, deviennent des bastions de résistance. Pour Ruto, cette crise spirituelle pourrait s’avérer aussi périlleuse que les défis économiques et politiques auxquels il fait face. En se détournant de lui, l’Église a non seulement ébranlé sa base de soutien, mais aussi renforcé sa propre autorité morale en tant que défenseur des droits et des aspirations des citoyens.
Alors que les tensions s’intensifient, la posture adoptée par l’Église marque un tournant décisif dans la relation entre foi et politique au Kenya. Le message est clair : l’intégrité spirituelle prime sur les alliances opportunistes.
source: The Unwanted Prodigal Son: Kenyan churches turn their backs on Ruto’s government