L’impasse institutionnelle en Haïti : une nation abandonnée à elle-même
Par Guyno DUVERNE
Le duel de pouvoir qui oppose le Palais National à la Primature en Haïti incarne une crise profonde de gouvernance, où les rivalités internes prennent le pas sur la mission première des institutions : servir le peuple. Alors que ces deux principales structures de l’État s’affrontent pour asseoir leur influence, les véritables victimes de cette guerre d’égo sont les Haïtiens eux-mêmes, pris en otage par un système politique en déliquescence.
Dans ce bras de fer politique, ni le Palais National, ni la Primature ne parviennent à incarner un véritable leadership national. Les dirigeants, plutôt que de s’unir pour affronter les défis critiques de l’heure, se comportent comme des antagonistes. La rivalité entre ces entités, censées travailler de concert, souligne une incapacité structurelle à formuler une vision cohérente pour Haïti. Au lieu de gérer les affaires publiques avec intégrité et pragmatisme, ils s’enlisent dans des querelles qui ressemblent davantage à des luttes de rue qu’à des différends d’État. Cette situation reflète une crise institutionnelle plus large qui paralyse la prise de décisions et amplifie les souffrances de la population.
Le peuple haïtien, quant à lui, vit dans une misère sans précédent. La montée de la violence, en particulier celle perpétrée par les gangs armés, rend la vie quotidienne de plus en plus insoutenable. Des milliers de familles sont forcées de fuir leurs foyers, devenant des réfugiés dans leur propre pays, sans protection ni ressources. Les femmes et les jeunes filles sont souvent les premières victimes de cette instabilité, contraintes à des situations humiliantes pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. La défaillance des services publics, couplée à l’indifférence des autorités, ne fait qu’exacerber cette crise humanitaire.
Les tensions avec la République Dominicaine viennent aggraver une situation déjà critique. Les déportations massives de migrants haïtiens, souvent exécutées dans des conditions inhumaines, posent un défi diplomatique majeur. Le ministre haïtien des Affaires étrangères, Dominique Dupuy, s’efforce de mobiliser la communauté internationale pour mettre fin à ces pratiques. Toutefois, cette initiative rencontre des résistances au sein même de l’appareil étatique haïtien. Les divisions internes au Conseil présidentiel de transition, où certains conseillers remettent en question la légitimité des actions de Dupuy, reflètent l’incapacité du gouvernement à élaborer une réponse cohérente face à une crise aussi complexe.
Cette fragmentation du pouvoir est aggravée par des allégations de corruption qui ternissent encore davantage l’image des dirigeants actuels. Trois membres influents du Conseil présidentiel de transition – Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin – sont accusés d’avoir sollicité des pots-de-vin en échange du maintien du président de la Banque Nationale de Crédit à son poste. Ces accusations, loin d’être isolées, révèlent l’ampleur de la corruption qui gangrène les institutions haïtiennes et explique, en grande partie, la paralysie de l’État.
Au lieu de s’engager dans une véritable gouvernance, les élites politiques haïtiennes semblent plus préoccupées par la préservation de leurs propres privilèges. Les ressources publiques, déjà limitées, sont détournées à des fins personnelles ou partisanes, tandis que la majorité de la population est livrée à elle-même, en proie à la violence et à l’extrême pauvreté. Ce fossé entre les élites et le peuple continue de se creuser, menaçant les fondements mêmes de la nation haïtienne.
Loin d’être un simple affrontement entre deux branches de l’exécutif, cette lutte pour le pouvoir illustre une déconnexion alarmante entre les aspirations des dirigeants et les besoins réels du pays. Alors que la Primature et le Palais National se neutralisent mutuellement, la domination des gangs dans les rues de Port-au-Prince et au-delà se renforce, accentuant l’effondrement de l’État de droit.
Il est clair que la solution à cette crise ne viendra pas de l’actuelle classe politique, engluée dans des querelles intestines et minée par la corruption. Le peuple haïtien ne peut plus compter sur des institutions défaillantes pour répondre à ses aspirations légitimes à la sécurité, à la justice et au développement. Il est urgent de repenser les fondements mêmes du pouvoir en Haïti, de refonder l’État sur des bases de responsabilité et de justice sociale, afin de redonner à cette nation meurtrie l’espoir et la dignité qu’elle mérite.
Guyno DUVERNE
duverneguyno@gmail.com