Le 17 octobre constitue l’une des dates les plus symboliques de l’histoire d’Haïti, rappelant douloureusement l’assassinat du Père de la nation, Jean-Jacques Dessalines, en 1806. Ce jour, inscrit dans la mémoire collective haïtienne, marque non seulement la disparition tragique de l’un des plus grands stratèges militaires et dirigeants politiques du XVIIIe siècle, mais aussi le début de l’érosion des idéaux révolutionnaires qui avaient conduit Haïti à l’indépendance. L’assassinat de Dessalines a débouché sur des dynamiques politiques complexes qui se poursuivent encore aujourd’hui, caractérisées par des luttes intestines, des divisions géopolitiques internes et une incapacité persistante à concrétiser une vision de développement durable et inclusif pour le pays.
Jean-Jacques Dessalines, proclamé empereur sous le nom de Jacques Ier en 1804, est porteur d’un projet profondément novateur pour son époque. En plus de mener la première révolte d’esclaves réussie pour créer la première république noire, son ambition était de reconstruire la société haïtienne sur la base de l’égalité et de la justice sociale. Cependant, des tensions politiques internes, alimentées par les élites créoles et mulâtres qui voyaient en Dessalines une menace pour leur pouvoir, ont conduit à son assassinat sur ordre de ses proches collaborateurs, notamment Alexandre Pétion et Henri Christophe, deux figures qui allaient façonner le paysage politique post-dessalinien.
La mort de Dessalines marque non seulement la fin de l’Empire haïtien, mais aussi l’émergence d’une fragmentation géopolitique et idéologique au sein de la nation. Les luttes de pouvoir entre Pétion au sud et Christophe au nord divisent le pays en deux entités distinctes, empêchant toute continuité du projet de Dessalines de construire une nation forte et unie. Les visions opposées de ces deux leaders ont contribué à l’instabilité politique qui perdure encore aujourd’hui.
Le symbolisme de Pont Rouge
Le site du Pont Rouge, où Dessalines a été assassiné, est devenu un symbole central dans la mémoire nationale haïtienne. Il représente non seulement le lieu d’une trahison historique, mais aussi le point de départ de l’affaiblissement de l’État haïtien. Chaque année, le 17 octobre est l’occasion de commémorer la mort de Dessalines, mais cette cérémonie se déroule souvent dans un climat politique délicat, reflétant les divisions persistantes qui minent l’unité nationale.
Comme dans l’ère post-Dessalines, Haïti reste aujourd’hui déchiré par des luttes de pouvoir, une gouvernance déficiente et des problèmes de sécurité, exacerbés par la montée des gangs armés et une crise institutionnelle chronique. Ces dynamiques rendent toute cérémonie commémorative autour du 17 octobre hautement symbolique, car elles illustrent à la fois le poids de l’héritage dessalinien et les contradictions internes d’une société qui cherche à se réconcilier avec son passé.
A ce titre, l’éventuelle présence de M. Leslie Voltaire, coordonnateur du Conseil Présidentiel de la Transition (CPT), au Pont Rouge revêtirait une importance toute particulière. Ce déplacement symbolique, s’il a lieu, est beaucoup plus qu’un simple acte de commémoration. Il pose la question de la capacité du gouvernement haïtien à réaffirmer son autorité dans un environnement où les gangs et les acteurs non étatiques jouent un rôle décisif dans la gestion du territoire. L’échec de la visite d’Ariel Henry au Pont Rouge en 2021, en raison de l’opposition des gangs, a été perçu comme une démonstration de l’impuissance de l’Etat face à ces forces qui continuent de défier l’autorité du gouvernement central.
En ce dernier semestre 2024, la situation peut paraître relativement différente avec la présence de la mission de sécurité kenyane, chargée d’aider Haïti à rétablir la sécurité et à contenir la violence des gangs. Cependant, cette mission est encore dans sa phase initiale, et il reste à voir si elle sera en mesure de garantir une stabilité suffisante pour permettre une telle visite commémorative, et par extension, rétablir l’ordre dans les « territoires perdus » de la capitale.
Si M. Voltaire réussit à se rendre au Pont Rouge jeudi et à y déposer une gerbe de fleurs, cet acte sera porteur de plusieurs significations. D’abord, il représenterait une tentative de réconciliation avec l’héritage de Dessalines, en reconnaissance du rôle fondateur de l’empereur dans l’histoire de la nation. Deuxièmement, elle symboliserait une victoire politique sur les groupes armés qui ont paralysé les cérémonies officielles ces dernières années. Troisièmement, elle pourrait représenter un pas préliminaire vers la stabilisation réelle du pays, condition nécessaire à la tenue d’élections » crédibles « , autre pilier de l’idéal dessalinien de gouvernance.
Cependant, l’échec de l’organisation de cette cérémonie, ou l’opposition manifeste des groupes armés « en mission commandée », constituerait un signal inquiétant quant à la capacité du gouvernement à imposer son autorité. Elle révélerait que, malgré l’aide internationale, la fragilité de l’Etat persiste et que la violence continue de régner dans le pays. En définitive, le pari de Leslie Voltaire à Pont-Rouge dépasse le simple hommage à Dessalines, incarnant la lutte permanente entre mémoire nationale et réalité politique, où la capacité du gouvernement à honorer l’histoire se heurte aux défis sécuritaires et institutionnels qui continuent de freiner le progrès d’Haïti.
Sans la commémoration du 17 octobre à Pont-Rouge, peut-on vraiment envisager une célébration grandiose du 221e anniversaire de l’Indépendance aux Gonaïves, le 1er janvier 2025 ? Par ailleurs, la Nationale 1, au niveau de Pont-Sondé et de la Croix Périsse, sera-t-elle accessible aux voyageurs venant de Saint-Marc ou de la capitale à cette occasion?
cba
