16 juin 2024
MMAS en Haïti : 7 organisations de défense des droits de l’homme font des recommandations
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MMAS en Haïti : 7 organisations de défense des droits de l’homme font des recommandations

Introduction

En octobre 2023, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a adopté la résolution 2699/2023 autorisant le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS). Considérant que la République d’Haïti a connu de nombreuses missions onusiennes et multinationales durant les trente (30) dernières années qui n’ont eu aucun impact positif et pérenne sur la situation sociopolitique et économique du pays, il est nécessaire d’éviter les erreurs du passé et de mettre des balises afin de porter la mission à intervenir dans le respect des droits humains de tous les citoyens.nes haïtiens.

Dans cette perspective, sept (7) 1 organisations et plateformes d’associations de droits humains et de la société civile haïtienne se sont réunies sous les auspices de la Haïtien Citizen Security Program (HCSP) durant les mois de novembre et de décembre 2023 en vue de discuter des enjeux de la mission et de faire des recommandations aux acteurs concernés par la MMAS.

2. Mise en contexte

Depuis plusieurs années, le pays fait face à une insécurité généralisée fragilisant divers aspects de la vie quotidienne des Haïtiens et Haïtiennes. L’instabilité politique, la prolifération des gangs armés, regroupés autour de deux (2) grandes coalitions qui se partagent 80 % du territoire du département de l’Ouest et contrôlent certains autres départements géographiques du pays, additionnées aux tensions sociales, ont contribué à l’établissement et au maintien d’un climat de peur, de violence et de chaos. Cette situation est caractérisée par des assassinats spectaculaires, des enlèvements suivis de séquestration contre rançon, des massacres, des attaques armées, des viols, des viols collectifs de femmes et de filles, des détournements de véhicules de transport en commun

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. Ces séquences répétées de violences ont eu pour conséquences premières des déplacements forcés et massifs des citoyens.nes qui, tentant d’échapper à la fureur des gangs armés, se sont réfugiés chez des proches, sur des places publiques, dans des établissements scolaires, dans des églises et sur des terrains vagues. D’autres ont laissé le pays, souvent dans des conditions dangereuses, afin de se protéger. De nombreuses personnalités de la vie sociopolitique ont aussi été assassinées dont le bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Maître Monferrier Dorval et le président de la République, Monsieur Jovenel Moïse.

Des bandits armés, contrôlant les axes routiers stratégiques menant aux départements du grand nord et du grand sud, entravent la circulation des biens et des services. Conséquemment, à côté de ce panorama d’insécurité s’est aussi installée une situation socioéconomique catastrophique caractérisée par la violation des droits à la santé, au logement, à l’éducation et au travail de la population, l’insécurité influant directement sur l’accessibilité et la disponibilité des services sociaux.

Cette situation socioéconomique catastrophique est aussi caractérisée par une inflation de 22.8% selon les derniers chiffres publiés par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique pour le mois d’octobre 2023 ; et par une crise alimentaire aigüe touchant plus de 4.9 millions de personnes dans le pays, selon les dernières estimations du Programme Alimentaire Mondial (PAM). De plus, la dégradation de l’environnement – conséquences du déboisement effréné, du non-curage régulier des canaux d’irrigation et de l’absence d’une politique publique de protection de l’environnement ou de réponses adéquates aux défis environnementaux d’Haïti – a exacerbé la vulnérabilité d’Haïti face aux catastrophes naturelles.

C’est donc sans surprise que cette situation complexe entrave le bon fonctionnement du pays. Elle souligne par conséquent la nécessité d’adopter des mesures concrètes pour restaurer la stabilité sociopolitique et économique et assurer la sécurité des citoyens et citoyennes partout sur le territoire national.

C’est ainsi qu’en date du 6 octobre 2022, le gouvernement de facto dirigé par Ariel Henry a sollicité le support d’une force robuste de l’ONU dans l’objectif, de combattre le grand banditisme, de ramener l’ordre et la paix dans le pays et d’organiser les élections. Dans ce contexte de violations massives et continues des droits humains en Haïti et tenant compte du fait que les enjeux pour le pays sont énormes avec la venue de cette énième force, les sept (7) organisations et plateformes d’associations de droits humains et de la société civile haïtienne susmentionnées se sont réunies les 17 novembre, 12 décembre et 20 décembre 2023, dans le but de discuter des enjeux en question.

À la suite des différentes discussions, elles ont décidé d’élaborer conjointement le présent document et de faire des recommandations précises aux différents acteurs concernés par la venue prochaine de la MMAS. Rappel des Missions Passées De 1993 à 2023 dix (10) missions onusiennes et/ou multinationales se sont succédé en Haïti. Ces différentes missions ont été à chaque fois déployées sur le territoire national dans un contexte de crise sociopolitique en vue de renforcer le processus démocratique et l’état de droit, de restaurer la paix, la sécurité, de réaliser les élections et de renforcer les institutions étatiques. Cependant, la démocratie a considérablement régressé dans le pays, malgré le passage de ces forces onusiennes et multinationales.

La situation des droits humains devient plus chaotique et les violences sont exacerbées durant les trois (3) dernières années où on assiste à l’accélération de l’effondrement de l’État haïtien. Voici, par ordre chronologique, la liste des différentes missions qui sont intervenues dans le pays durant ces trois (3) dernières décennies :

1. Mission civile internationale conjointe ONU-OEA (MICIVIH) établie en mars1993 ;

 2. Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA) établie en septembre 1993 ;

3. Operation Uphold Democracy, Force Multinationale composée établie en juillet 1994, dirigée par les États-Unis d’Amérique et autorisée par le Conseil de sécurité ;

4. Mission d’appui des Nations Unies en Haïti (MANUH) établie en juin 1996;

5. Mission de transition des Nations Unies en Haïti (MITNUH) établie en juillet 1997;

6. Mission de police civile des Nations Unies en Haïti (MIPONUH) établie en novembre 1997;

 7. Mission internationale d’appui en Haïti (MICAH) établie en mars 2000;

8. Mission des Nations Unies pour la stabilité en Haïti (MINUSTAH) établie en juin 2004;

9. Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH) en octobre 2017 ;

10. Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) depuis juin 2019

 Il convient de souligner que ces missions n’ont pas atteint les résultats qu’elles s’étaient fixés. De plus, alors que sur le plan des droits humains, les conséquences pour le pays sont désastreuses avec des violations flagrantes perpétrées par des agents de ces missions et non réprimées par l’ONU, aujourd’hui, force est de constater qu’Haïti en est encore – malheureusement –à solliciter l’envoi d’une énième intervention étrangère ce qui prouve, si besoin en était, l’étendue de l’échec de ces interventions onusiennes et/ou multinationales. 3. Leçons tirées des interventions étrangères passées et leurs impacts sur les droits humains. Les interventions étrangères ont souvent été décriées en raison de l’absence de résultats pérennes de leur passage ou de l’implication de leurs agents dans des violations de droits humains. Voici une liste non-exhaustive des violations enregistrées lors des dernières missions :

 • Des agents des missions onusiennes et/ou multinationales ont été impliqués dans des cas d’exécution sommaire et d’atteinte à l’intégrité physique et psychique des citoyens.nes ;

• Des agents des missions onusiennes et/ou multinationales ont été indexés dans des cas de marchandages sexuels, offrant nourriture contre sexe à des femmes et à des mineurs, filles et garçons ;

• Des agents des missions onusiennes et/ou multinationales ont violé des femmes et des mineurs dont des filles et des garçons ;

• En plus du traumatisme lié à ces agressions sexuelles, des agents des missions onusiennes et/ou multinationales ont abandonné leur progéniture ;

• Des agents des missions onusiennes et/ou multinationales ont entretenu, pendant leur temps de déploiement, des relations continues avec des femmes qui sont tombées enceintes, pour être ensuite tout simplement abandonnées par eux ;

 • Des agents de la MINUSTAH ont introduit le Choléra en Haïti. Les procédures de plaintes à l’encontre des agents des missions onusiennes et/ou multinationales n’ont jamais été clairement établies.

Les victimes n’ont donc jamais pu être dédommagées pour les préjudices subis. Au contraire, les agents fautifs dont les dossiers avaient défrayé la chronique, ont simplement été rapatriés chez eux par les responsables de ces missions onusiennes et/ou multinationales. Sur le scandale du Choléra, ce n’est qu’après des années de plaidoyer que les Nations Unies ont reconnu avoir effectivement propagé la maladie dans le pays, occasionnant le décès de plus de dix-mille (10,000) personnes et l’infection de plusieurs milliers d’autres, et promettant de dédommager collectivement les victimes.

Il a par ailleurs souvent été reproché aux missions onusiennes et/ou multinationales d’agir à la place ou d’occulter tout simplement les institutions haïtiennes qu’elles étaient appelées à renforcer. Tel a été le cas par exemple de l’institution policière, de l’appareil judiciaire et de l’organe électoral. En conséquence, au lieu de renforcer les institutions démocratiques haïtiennes, les missions onusiennes et / ou multinationales passées les ont affaiblies. Et, aucune procédure n’ayant été clairement établie pour la traduction, par devant les instances de jugement, des personnes arrêtées par les agents des missions susmentionnées, leurs interventions sur le terrain ont souvent favorisé l’impunité. Conséquemment, les retombées des actions de ces missions onusiennes et/ou multinationales n’ont pas été durables pour le pays. Elles ont au contraire perpétué une culture de dépendance vis-à-vis des forces étrangères, les institutions étatiques haïtiennes ayant pris l’habitude d’attendre l’aide extérieure au lieu de trouver par elles-mêmes les solutions aux problèmes.

Ainsi, l’impunité dont ont bénéficié les agents des différentes missions onusiennes et/ou multinationales qui se sont succédé en Haïti ainsi que le comportement de l’ONU dans le traitement du dossier relatif à la propagation du choléra ont sapé les bases mêmes de ces missions qui sont appelées à tracer l’exemple en appliquant une tolérance zéro vis-à-vis des agressions sexuelles, des marchandages sexuels, de tous autres cas de violations des droits humains et comportements anti-déontologiques ou pouvant porter atteinte à l’environnement des pays où elles sont déployées. C’est donc l’échec même des interventions passées qui justifie aujourd’hui la nécessité d’élaborer les lignes directrices consacrant la priorité au respect des principes des droits humains et mettant en place des balises en vue d’éviter que les violations des droits humains perpétrées – éventuellement – par des agents de la MMAS ne restent impunies.

 4. Présentation succincte de la résolution créant la MMAS Tel que susmentionné, en date du 6 octobre 2022, le gouvernement haïtien, avec à sa tête le premier ministre de facto Ariel Henry, a produit par devant la communauté internationale, une demande d’envoi d’une force robuste visant à aider le pays dans sa lutte contre le grand banditisme. Après plusieurs tergiversations ainsi que des missions d’évaluation sur le terrain mené notamment par le Canada et le Kenya, il a été finalement décidé que la force devait effectivement venir en Haïti. Cependant, aux termes de la résolution 2699 votée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 2 octobre 2023, ladite force ne sera pas onusienne mais multinationale, et son leadership sera assuré par le Kenya, ce pays ayant affirmé en date du 29 juillet 2023, vouloir en prendre la tête.

A date, les objectifs de la mission à venir ne sont pas clairement définis, sinon qu’elle aura à intervenir dans le processus de rétablissement de la sécurité en Haïti, le processus de pacification des territoires déclarés perdus par l’État haïtien et la réalisation des élections générales, en vue du retour à l’ordre constitutionnel. Toutefois, une lecture de la résolution portant création de la MMAS prouve que :

1-Les termes utilisés pour définir les obligations des membres de la mission relative à la gestion des eaux, aux normes de déontologie et de transparence sont très faibles et ne renvoient pas à l’idée d’une obligation précise ;

2- L’ONU s’est basée sur les échecs successifs de ses missions antérieures en Haïti pour décider cette fois-ci de ne pas assurer le leadership de cette mission et éviter, par ricochet, que sa responsabilité ne soit mise en cause, en cas de violation massive des droits humains, comme cela a été déjà enregistré avec la MINUSTAH ;

 3- Les principes de coopération entre la mission, l’institution policière et le gouvernement haïtien ne sont pas clairement énoncés ;

 4- Aucun mécanisme d’observation et de suivi du comportement des agents de la MMAS qui peuvent être impliqués dans des violations des droits humains n’est clairement établi.

 5. Recommandations

Sur la base de toutes les considérations précédentes, les sept (7) organisations et plateformes d’associations de droits humains et de la société civile haïtienne susmentionnées adressent au Conseil de Sécurité ayant autorisé la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS), aux organisations régionales, aux États pourvoyeurs d’agents à la MMAS et à l’État haïtien les recommandations précises suivantes en vue de les porter à adopter des mécanismes de protection de droits humains dans le cadre du déploiement de ladite mission, à tout mettre en œuvre en vue de la réussite de cette mission et éviter ainsi qu’Haïti ne soit, quelques années plus tard, obligée de solliciter une autre intervention étrangère.

A. Au Conseil de Sécurité, aux organisations régionales et aux États impliqués dans la mise en œuvre de la MMAS

Les sept (7) organisations et plateformes d’associations de droits humains et de la société civile haïtienne recommandent de :

 • Définir, de manière claire et précise, les objectifs de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) en tenant compte des besoins spécifiques de la population en matière de sécurité et de justice ;

• Prendre en compte les préoccupations des organisations de droits humains et de la société civile dans l’élaboration du cadre règlementaire de la MMAS et du plan stratégique de sécurité.

• Restituer aux victimes tous leurs biens qui ont été volés, détruits et squattés par les bandits armés ;

• Réparer les victimes de violations massives des droits humains enregistrées dans le pays de 2018 à date.

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