Mais comment seront détruits les pays que les puissances néocolonialistes considèrent comme les Carthages du XXIe siècle, parmi lesquels : Haïti, Venezuela, Palestine, Cuba, Iran, Syrie, Pakistan…?
Par Robert Lodimus
« Le monde a proclamé la liberté, ces dernières années surtout; mais que représente cette liberté! Rien que l’esclavage et le suicide! Car le monde dit : Tu as des besoins, assouvis-les, tu possèdes les mêmes droits que les grands et les riches. Ne crains donc pas de les assouvir, accrois-les même; voilà ce qu’on enseigne maintenant. Telle est leur conception de la liberté. Et que résulte-t-il de ce droit à accroître les besoins? Chez les riches, la solitude et le suicide spirituel; chez les pauvres, l’envie et le meurtre, car on a conféré des droits, mais on n’a pas encore indiqué les moyens d’assouvir les besoins. »
(Fiodor Dostoïevski)
Au moment où nous rédigeons ce texte, le monde vit une nouvelle tragédie au Moyen-Orient, qui s’apparente aux calamités occasionnées par les deux guerres mondiales. Les Palestiniens tombent comme des mouches sous les bombes de Benyamin Netanyahu, le nouvel « Yvan le Terrible » de la planète. Un véritable carnage. Les cadavres des bébés, des fillettes, des garçonnets, des adolescents, des femmes, des hommes, des mères et pères de famille, des vieillards, des animaux s’amoncellent, comme les feuilles mortes de l’automne, sur les débris des immeubles pulvérisés. Qu’il nous soit permis de nous découvrir silencieusement devant les victimes innocentes, – sans distinction–, de toutes les guerres sales et stupides déclenchées sur la planète, et qui banalisent et désacralisent la vie humaine!
L’homme est capable de détruire ses semblables en « l’espace d’un cillement », mais se révèle impuissant devant les éléments destructeurs de la nature. Les États possèdent des armements de guerre sophistiqués. Ils dépensent des centaines de milliards de dollars US pour se doter de tous les moyens de domination, hégémonisassions et d’aliénation. Cependant, – et ils le savent –, les forces de la nature sont indomptables. Et fort heureusement, ce sont elles qui obtiennent toujours le dernier mot. Dans bien des cas, ne deviennent-elles pas les bras de vengeance des faibles? Marc-Aurèle, homme politique, philosophe et empereur, dans sa compréhension des êtres et des choses, aurait trouvé certainement les expressions de sagesse qui exhorteraient les individus à des comportements dignes et honorables, dans les temps des grands malheurs. N’est-ce pas lui qui a écrit : « Termine la vie l’âme satisfaite : telle l’olive arrivée à maturité tomberait en bénissant la terre qui l’a portée et en rendant grâce à l’arbre qui l’a fait croître »?
Dans « Les animaux malades de la peste » du poète français, Jean de La Fontaine, c’est l’Âne qui fut sacrifié à l’unanimité, pour que les individus de la forêt obtinssent la commisération du « Créateur ». « Manger de l’herbe, quel crime abominable ! » Aujourd’hui, au début du XXIe siècle, lequel ou laquelle parmi nous sera le bouc-émissaire qui portera le crime de l’hérésie, qui conduit à la roche Tarpéienne? Certainement pas le « Lion ». Pas les vautours impitoyables, impassibles, pas les Anglo-Bourguignons qui détiennent le « pouvoir » de l’ « accusation » et du « verdict » sur Jeanne la Pucelle! Hier, c’étaient les Haïtiens. Les États-Unis, le Canada, la France,… n’ont-ils pas avili cette République moribonde, impotente, léthargique, comme ils l’ont fait avec la Chine, dans le drame planétaire de la COVID-19. Selon les prévisions des experts financiers, le pays de Mao-Tsé-toung deviendra officiellement, sous peu, la première puissance économique mondiale. Nous pouvons comprendre, entre les lignes de cette prévoyance inquiétante pour l’Occident impérialiste, les véritables raisons de ce matraquage médiatique qui a stigmatisé, foudroyé, anathématisé, flagellé la patrie de Confucius. « Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent », disait Michel Colucci alias Coluche, le grand humoriste français mort le 19 juin 1966 dans un accident de motocyclette.
Les médias septentrionaux, à cette époque de grande panique, n’avaient-ils pas écorché la dignité et la fierté du peuple haïtien, indexé les homosexuels, les héroïnomanes, les hémophiles qui, selon eux, portaient la responsabilité de l’existence et de la transmission de cette « maladie », le VIH/Sida, devenue un grand défi pour les chercheurs scientifiques qui oeuvrent dans le secteur de la santé? Et pourtant, les premiers cas d’infection furent enregistrés en 1981 dans les villes de San Francisco, New York et Los Angeles, manifestés sous des symptômes associés à la pneumonie sévère, au sarcome de kaposi, causant aussi de la diarrhée, provoquant de la rudesse respiratoire… Pas en Haïti, dans les Antilles, comme le croit une « amie » qui a fait de cette pandémie le sujet d’un mémoire de maîtrise… ! Elle n’a pas compris que les accusations cruelles et mensongères, occasionnées par l’apparition du sida, dirigées contre les Haïtiens, faisaient partie du complot international qui vise à éclabousser, à assombrir la fresque des épopées historiques du 18 novembre 1803. Le système néocolonialiste a juré d’occulter de la mémoire de l’humanité les vainqueurs de Vertières. Nous parlons des femmes et des hommes qui ont défait et humilié Napoléon Bonaparte et ses généraux sur les champs de bataille de Saint-Domingue. Depuis les événements qui ont conduit à la proclamation de l’indépendance, les États esclavagistes saisissent toutes les mauvaises occasions pour salir l’image de la Nation.
Mais comment seront détruits les pays que les puissances néocolonialistes considèrent comme les Carthages du XXIe siècle, parmi lesquels : Haïti, Venezuela, Palestine, Cuba, Iran, Syrie, Pakistan…? Port-au-Prince, à notre humble avis, ne sera pas anéanti comme Hiroshima et Nagasaki. Non…! Ce ne sera certainement pas avec des F35, des missiles, des ogives nucléaires. Mais par la maladie et la guerre civile entre les gangs armés et la fraction de la police nationale en rébellion contre le pouvoir exécutif, l’état-major et l’inspection générale. La vague d’insécurité qui submerge Port-au-Prince et le reste du territoire ne participe-t-elle pas d’un plan audacieux et criminel de destruction de la République d’Haïti ? Nous sommes entrés, depuis l’intronisation des « charognards » en 2011, dans la phase d’exécution du projet assassin.
Plusieurs bandits détenus et interrogés par les autorités policières et judiciaires ont rendu des témoignages accablants, fait des aveux palpitants, se sont soumis à des séances de confessions étonnantes, dont les contenus, gardés secrets, donnent froid dans le dos. D’ailleurs, Arnel Joseph, le meurtrier appréhendé le 22 juillet 2019 dans le Sud du pays, qui était à la tête des salauds, des égorgeurs, des bouchers du Village de Dieu, n’a jamais été déféré par devant ses juges naturels. Il sera abattu le 27 février 2021 par des policiers, dans une localité située non loin de la ville des Gonaïves. Les conditions de cette exécution demeurent obscures. Et ne seront peut-être jamais élucidées. Le malfaiteur au service des politiciens dépravés avait fait des révélations graves à Michel-Ange Gédéon, l’ex-chef de la police nationale d’Haïti, dont le mandat n’a pas été reconduit par l’ambassade des États-Unis, qui demeure, – nous le savons tous –, la principale dirigeante de ce corps trouble et controversé. Les États esclavagistes veulent détruire les Haïtiens, dans le seul but de reprendre les terres que les Espagnols leur ont concédées en 1697 par le traité de Ryswick. Il faut que la planète entière en soit informée. Car nous ne sommes plus dans les probabilités. Mais dans les « certitudes quasi absolues »! Quiconque voudrait découvrir et fournir les preuves de cette volonté destructrice qui anime les pays occidentaux par rapport au peuple d’Haïti, n’aurait qu’à remonter minutieusement le cours de l’histoire jusqu’à ce fameux jour de la Déclaration de l’indépendance, le 1er janvier 1804 sur la Place d’Armes de la ville des Gonaïves.
Haïti, comme la Carthage d’Hannibal, pourra-t-elle échapper aux mauvaises prédictions des prophètes de la « cruauté »? Aura-t-elle les moyens de combattre et de vaincre, cette fois-ci, la fureur haineuse de la Rome scipionienne? Les esclaves africains commencèrent à lutter bravement et de façon organisée en 1791, se battirent glorieusement sur tout le territoire de Saint-Domingue, certains sont morts héroïquement à la Crête-à-Pierrot, pour se libérer d’abord, et pour épargner ensuite à leurs descendants les souffrances du colonialisme aliénant. La République d’Haïti se retrouve actuellement dans un état inquiétant de faiblesse politique, dans une situation intenable de fragilité économique et dans une position vertigineuse d’insécurité sociale. Tout cela ne fait qu’amincir les espoirs de voir ce pays remonter la pente d’une décadence multidimensionnelle qui l’entraîne de plus en plus vers le néant. Nous ne dirons pas comme certains « compatriotes », pris dans un tourbillon de « nationalisme émotionnel », que les Haïtiens sont prêts pour une « révolution » sociale, politique, économique et culturelle. Ce serait de jouer à l’autruche. De perdre le nord… Entre vouloir et pouvoir, il existe un monde de différence. Nous ne pouvons pas refuser de croire, nous ne pouvons pas faire semblant d’ignorer la triste réalité qui se dévoile à nos yeux, qui se dévêt en boucle devant nous comme une strip-teaseuse de la rue Sainte-Catherine à Montréal. La République d’Haïti, certainement, ne doit pas se laisser détruire. Ne faut-il pas qu’elle continue d’exister dans le temps et même par-delà le temps : ne serait-ce que pour prouver aux générations subséquentes de la planète qu’elle est le résultat de l’Union, de la Fraternité, de l’Égalité et de la Force : la formule stratégique et rationnelle qui a contrefait, stoppé la marche subjuguante de l’idéologie coloniale en Amérique? Ses filles et ses fils ne seraient-ils même pas disposés à retourner à la Crête-à-Pierrot, à la Butte Charrier, à Vertières, s’il le fallait vraiment, pour que l’œuvre subliminale des pères de l’indépendance nationale continue de rappeler les souffrances infligées par la France à de pauvres citoyens sauvagement arrachés à leurs terres et à leurs familles, et de symboliser dans le monde la première grande défaite militaire de l’empereur Napoléon Bonaparte, l’idole emblématique du peuple français.
Le commencement des malheurs de l’île d’Haïti coïncide avec l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique en 1492. L’enfer colonial s’y est installé avec une voracité exorbitante et une cruauté méphistophélique. Depuis cette sombre époque, Haïti est devenue une terre de souffrances infrahumaines pour les autochtones et les Africains transplantés. La situation politique du pays, les conditions socioéconomiques des indigènes vont de mal en pis. Depuis le 1er janvier 1804 jusqu’à aujourd’hui, l’État haïtien se déplace les yeux bandés dans le vide de l’incertitude. Il ne s’est jamais défini une destination progressiste et salutaire. Vers quoi vont nos compatriotes ? En direction de quoi marchent-ils ? Le 17 octobre 1806 participe d’un vaste complot national et international qui vise à provoquer l’extinction de la Nation dessalienne. Demain paraît effroyable !
Nous avons écrit dans l’ouvrage inédit, La guerre des lavalassiens ou Le scrutin de la discorde : « L’émission Ces mots qui dérangent a nourri durant six ans la prétention de vouloir créer cet environnement sain et respectueux dans le but de rassembler les cerveaux fertiles : les politiques, les intellectuels, les artistes, les professionnels… qui ont la responsabilité de faire évoluer les grands débats sur les causes du naufrage de la République. Elle devait être en quelque sorte une espèce de boîte noire où seraient stockées des informations précieuses sur chaque moment de déroulement de la « catastrophe nationale » et qui aurait pu servir à repenser le devenir des collectivités territoriales. Pour sauver le malade, le médecin pose un diagnostic; puis, prescrit un ou des médicaments aux fins de provoquer la guérison. Les investissements monétaires ne valent absolument rien, n’aboutissent à aucun résultat dans un contexte environnemental soumis à une crise de pensée et à un déficit d’idée. »
Haïti est le seul pays de l’univers où l’on peut s’autoproclamer « philosophe », sans « philosophie ». « Historien », sans « histoire ». « Ingénieur », sans « génie ». « Savant », sans « science ». Et même, tenez-vous bien, « président », sans « palais »! « Roi », sans « royaume »! Un étranger nous a dit un jour : « Cher ami, la « folie » a gagné Port-au-Prince. » N’avait-il pas raison, ce Parisien qui était venu se terrer à Port-au-Prince, pour ne pas payer les impôts au gouvernement socialiste de François Mitterrand. « C’est vrai, avons-nous répondu… » Et l’étranger ajoutait : « Regardez là-bas! On dirait des milliers de fourmis qui grouillent sur une peau de banane. Ils marchent dans toutes les directions. Pardi! Le ciel ne produit plus cet échantillon d’individus qui défient avec une capacité de résilience incroyable l’horribilité de la nature. » Nous lui avons fait comprendre que rien de tout ce qui est sorti de la jarre de Pandore : la faim, la soif, la nudité, le froid, l’insalubrité, le chômage, la maladie, la mort, rien de tout cela n’est arrivé à enlever ce sourire sculpté avec les ciseaux de l’éternité sur le visage décharné de ces misérables. Être capable de « sourire en mourant », ou de « mourir en souriant », – prenez-le comme vous voulez –, ne peut être qu’un don des anthropomorphes de l’Olympe mystique. Même par-delà la frontalière de l’inexistence, les gens de mon pays ne désharponnent pas Elpis. Ils vivent d’espérance en espérance! « Demain, peut-être !» Vous comprenez? Si ce n’est pas ce « demain », ce sera l’autre « demain ». Et puis résonnent les pas de Babalu Aye! Alors là, plus de « demain »! Sinon qu’un cintre géant accroché à la voûte de l’infini! « La mort était au rendez-vous (Da uomo a uomo) », comme dans le film de Giulio Petroni, interprété par John Phillip Law et Lee Van Cleef.
Aucun mouvement politique qui a siégé dans l’espace du pouvoir politique après l’assassinat de l’empereur Jean-Jacques Dessalines ne peut se laver les mains, lorsque l’on évoque le phénomène du naufrage de la société haïtienne. La probité intellectuelle commande à ce sujet d’être honorable… Et surtout conséquent et responsable. Jean-Pierre Boyer a dirigé la République durant 25 ans. Faustin Soulouque environ 10 ans. François Duvalier 14 ans. Jean-Claude Duvalier 15 ans. Lavalas de Jean-Bertrand Aristide et de René Préval environ 14 ans et 7 mois. Le tribunal de l’histoire ne saurait en aucun cas condamner les uns et disculper entièrement les autres. D’une façon ou d’une autre, « tous ont péché et sont privés de la gloire du peuple ». Ces considérations simplistes qui tentent d’exhumer les vieux ragots de « circonstances atténuantes » nous rebutent. En matière de gouvernance politique, l’échec n’a pas d’excuse. Malgré l’embargo imposé par les États-Unis, le castrisme tient ferme. Résiste. Ne fléchit pas. Nous en avons encore l’exemple avec le chavisme. Salvador Allende est décédé les armes à la main, sans avoir échoué. Le guévarisme n’a pas été vaincu. Quoique son illustre créateur fût lâchement assassiné. Le débat n’est pas clos.
Qui ignorait que la République d’Haïti allait arriver à ce carrefour de déliquescence chaotique? Toutes les périodes de l’histoire de ce pays sont entachées de crimes abominables, de meurtres monstrueux, d’assassinats crapuleux, de privations amères, d’abus exécrables… Plus de deux cents ans de tourmente sociétale et de bouleversements politiques versés au compte d’un peuple qui rêvait de vivre comme des êtres humains, après avoir cassé les chaînes de l’esclavage. Ce sont des individus qui voulaient prouver à l’humanité qu’ils avaient eux aussi la capacité et l’intelligence de se forger une nouvelle existence sur une terre totalement libérée de l’oppression raciale pratiquée par les monarques de Paris. Les victimes africaines de la barbarie occidentale furent franchement déterminées à reprendre possession de leurs droits naturels et imprescriptibles. Ils combattirent leurs bourreaux avec la force du désespoir. Ils réussirent à construire un nouvel État sur les cendres des plantations de café, de coton, de cacao qui suçaient leur sang et qui consumaient leur énergie comme le feu qui brûle les cierges des églises. Mais malheureusement, cette Nation naquit avec un sérieux handicap. Le vase de l’union des Noirs et des Mulâtres qui étaient à la base de Vertières fut brisé. Aujourd’hui encore, les morceaux épars ne peuvent pas être recollés. Ceux-là dont les « pères sont restés en Afrique » n’ont toujours rien obtenu. La République d’Haïti, minée par la misère, est devenue un gouffre de souffrances pour des millions de parias qui regardent en direction de l’Amérique du Nord, du Brésil et du Chili. Alors qu’elle constitue un paradis pour la minorité qui se place du côté de Pétion et de Boyer. C’est la source des malheurs de la Nation dessalinienne. Les complots ourdis par les États-Unis et la France dressent, élèvent devant les masses populaires haïtiennes des barrières économiques presque impossibles à traverser.
Dans le film « Open Range », le héros, interprété par Kevin Costner, qui l’a aussi réalisé, voulait achever son ennemi qu’il a gravement blessé. Ses compagnons s’y sont fermement opposés. L’homme paraissait contrarié. Il leur a dit qu’il ne tenait pas à laisser un « emmerdement » derrière lui. N’est-ce pas la leçon que nous avons retenue des théoriciens et des leaders politiques révolutionnaires? Après octobre 1917, Lénine a épuré La Russie. Au lendemain même de 1949, Mao a débarrassé la Chine de toutes les présences crapuleuses et compromettantes pour sa révolution. Fidel a fait fusiller des « emmerdeurs potentiels » après le 1er janvier 1959. La plupart des supporteurs et partisans du régime de Batista, il faut le souligner, eurent le temps de se réfugier aux États-Unis. Nous aurions pu en citer d’autres exemples!
La pensée philosophique machiavélienne, spécifiquement instituée par Le Prince, fait aussi des recommandations éclairantes à ce sujet. Doit-on se fier à son ennemi? La sagesse prévoyante ne nous enjoint-elle pas plutôt de l’éliminer? De le faire disparaître par n’importe quels moyens? Car un « ennemi » ne doit pas être considéré comme un simple « adversaire ». Le mot ennemi vient du latin « inimicus » et signifie, selon Le Larousse : « Personne qui veut du mal à quelqu’un, qui cherche à lui nuire, qui lui est hostile… » Il se développe entre les «ennemis politiques» des inimitiés qui peuvent aller, d’un côté comme de l’autre, jusqu’aux souhaits de terribles malheurs, jusqu’aux menaces de mort… Machiavel parlerait lui-même de « cruauté bien appliquée ». Et c’est encore vrai, lorsqu’il nous dit : « Il vaut mieux être craint qu’être aimé, si l’on ne peut pas avoir les deux. » J’ajouterais moi-même : « Quand il s’agit de conserver le pouvoir dans le seul but d’assurer le bien-être de son peuple. »
Dans notre ouvrage « Pauvreté en Haïti et dans le reste du monde : Hara-kiri ou révolution », nous avons rappelé et accentué sur le cas du feu camarade révolutionnaire Chris Hani, victime de trahison en Afrique du Sud. Ce guérillero brave, courageux, intrépide, honnête, a été assassiné le 10 avril 1993 après avoir accepté de participer à une réunion avec ses ennemis politiques. Le martyr, avant la tragédie, disait qu’il avait accepté de le faire pour le bien de son peuple. Mais ses opposants cherchaient à l’attirer dans un piège. Beaucoup de militants politiques ont été victimes du même stratagème. Il faut combattre l’ennemi jusqu’à sa destruction complète. Et dans les vieux westerns, même blessé, l’ennemi est traité comme un vieux canasson qui s’est fracassé une jambe, que l’on abat froidement pour lui épargner des souffrances insupportables.
La France, en disant qu’elle a pardonné à l’Allemagne les injustices que lui a causées l’occupation nazie, sait au fond d’elle-même qu’elle agit de façon hypocrite. La France n’oublie pas ses affronts, les actes d’assassinat et les persécutions diverses dont furent victimes les héros de la résistance. Comme le Japon n’arrivera jamais à gommer les malheurs d’Hiroshima et de Nagasaki. Peut-être que celui-ci mise sur le temps pour obtenir ou se faire justice de l’inventeur de la première bombe atomique. Les séquelles de cette tragédie sont encore présentes dans la mémoire nipponne. Le défunt cinéaste japonais, Shōhei Imamura, a réalisé un film percutant, Pluie noire, sur ce triste épisode de la seconde guerre mondiale. Les Haïtiens, de leur côté, gardent le même ressentiment contre l’Espagne, la France, les États-Unis…
Notre peuple n’oubliera pas ses « Ennemis » traditionnels. Les fils et les filles des esclaves africains se souviendront toujours des centaines d’années de souffrances indicibles que leurs aïeuls ont vécues dans les plantations de Saint-Domingue. Ceux qui ont construit les « Négriers », qui ont enlevé nos ancêtres de la mère patrie accepteront-ils un jour de nous indiquer la route de l’existence normale sur la carte géographique complexe du bonheur? Consentiront-ils finalement à nous accompagner, à nous assister sur le chemin de la Liberté, de l’autodétermination et du développement durable?
Seuls les « écervelés » politiques sont incapables de comprendre que derrière le sourire félon d’une puissance septentrionale se dissimulent toujours les bourrasques de haine les plus destructrices, les plus anéantissantes. Heureusement, – en guise de consolation –, l’adage nous rassure : « Le jour s’en va, le jour revient…?» En clair, cela signifie que le soleil se couche et se lève… Au milieu des jours tristes et sombres de notre histoire de peuple martyr, nous avons besoin, de temps à autre, de revisiter Sénèque :
« Tel est l’ordre des choses, nous n’y pouvons rien changer : ce que nous pouvons, c’est de nous redonner ce fier courage, digne d’un homme de bien, qui supporte résolument les coups du sort, et se conforme aux volontés de la nature. Or la nature, comme tu le vois, gouverne son empire par de perpétuels changements. Aux nuages succède la sérénité; les mers tour à tour se soulèvent et s’apaisent; les vents soufflent l’un après l’autre; le jour suit la nuit; une partie du ciel s’élève sur nos têtes, une autre partie s’enfonce sous nos pieds; c’est par le contraire que les choses subsistent éternellement.»
Faut-il déjà l’oublier? Les Babyloniens détruisirent Jérusalem en 586 av. J.-C., après un siège qui dura environ deux ans. La prophétie de Jérémie se fut accomplie. Mais le triomphalisme des Nebuchadnezzar est éphémère. Que vous soyez chasseur ou gibier, à chacun son tour! C’est même devenu un postulat. Comme le dit le Sage Sénèque dans ses lettres à Lucilius, – que nous paraphrasons –, c’est une loi naturelle de laquelle les êtres et les choses ne peuvent se soustraire!
Les malheurs du « Sud » viennent du « Nord ». Il n’y a point de doute. C’est donc le « Nord » qu’il faut combattre pour rétablir les conditions de la « justice sociale » et de l’ « équité économique » sur la planète. Ce jour-là, la « Révolution mondiale » sera en marche. L’humanité prendra enfin la direction de la Libération.
La République d’Haïti s’est éveillée le 1er janvier 1804. Le monde a tremblé… Puis le volcan s’est endormi. Cependant, tout indique que les fumerolles demeurent en activité… Les noms du commandant Charlemagne Péralte, du député Raymond Vilaire Cabèche de la 28ème Législature, du soldat Pierre Sully, du guérillero Benoît Batraville… refusent de disparaître sous la terre qui ensevelit leur corps dans les ténèbres de la mort. Cent huit ans déjà : 1915 – 2023…! Et les « indésirables » sont encore là… Quelle déception pour Anthony Phelps, le « chantre » meurtri de la dénonciation des misères et des arrogances de l’occupation de 1915! Le « caillot de sang » dont a parlé le poète et romancier est toujours « dans la gorge de son pays ».
Robert Lodimus

