New York Roxham Road | Le Canada est la dernière frontière de l’exil pour des Haïtiens après avoir parcouru une dizaine de pays

0
1593

« La jungle de Darien, c’est le pire… Une nuit, nous avons dû dormir à côté des morts »

En 2022, environ 40 000 personnes sont arrivées illégalement par cette voie, – Roxham Roadsoit deux fois plus qu’en 2017, année du précédent record, selon le bureau de l’immigration du Canada. Et l’hiver ne décourage pas ceux qui veulent passer : rien qu’en janvier, ils étaient plus de 5 000.

La Nacion, reportage à la frontière américano-canadienne

Ce n’est qu’un petit bout de route dans la neige, mais pour eux, migrants colombiens, vénézuéliens, haïtiens et turcs, c’est la dernière étape d’un long voyage d’exil. Certains portent de lourdes valises, d’autres n’ont qu’un petit sac en plastique, vestiges de leur vie passée.

Impatients d’arriver, les migrants accélèrent le rythme en sortant d’un véhicule, la tête baissée, pour franchir enfin la dernière frontière de leur voyage, celle qui sépare le Canada des États-Unis, sur la route entre New York et Montréal.

« Stop, traverser à cet endroit est illégal, si vous le faites vous serez arrêté« , répète la police québécoise aux migrants qui débarquent par groupes, de jour comme de nuit, au point connu sous le nom de Roxham Road.

Parmi les nouveaux arrivants, en pleine chute de neige, certains n’ont ni manteau ni bottes, seulement des vêtements légers et des chaussures de tennis. Les mères portent les plus petits, dont les animaux en peluche dépassent des valises et des landaus qui s’enlisent dans la neige.

Seuls les enfants rient, fascinés par la neige qu’ils voient pour la première fois.

Un petit sac à dos sur le dos, Makenzy Dorgeville, qui fuit la violence des rues haïtiennes, se dit « très heureux » d’arriver au Canada après des années sur cette route. Un périple qu’il décrit comme une course d’obstacles qu’il résume en énumérant les 10 pays d’Amérique centrale et du Sud qu’il a traversés depuis le Brésil.

Comme beaucoup de migrants, ce quadragénaire à l’allure frêle sait que même si sa demande d’asile est rejetée, le Canada n’expulse pas les Haïtiens.

Marcelo, également originaire d’Haïti, au visage fatigué, dit avoir « beaucoup souffert dans son pays » à cause de la violence des gangs, alors que le Canada représente l’espoir d’une nouvelle vie.

Avant qu’ils ne franchissent la frontière, des ONG leur distribuent des couvertures, des chapeaux et des mots d’encouragement. « Nous voulons qu’ils sachent qu’il y a des gens qui les soutiennent dans leur recherche d’un endroit sûr où vivre », explique Frances Ravensbergen, bénévole à « Créons des ponts ».

Concrètement, après avoir été enregistrés par la police, les migrants sont conduits au poste frontière officiel le plus proche pour y déposer une demande d’asile – entre 50 et 60 % d’entre elles sont acceptées.

En 2022, environ 40 000 personnes sont arrivées illégalement par cette voie, soit deux fois plus qu’en 2017, année du précédent record, selon le bureau de l’immigration du Canada. Et l’hiver ne décourage pas ceux qui veulent passer, avec plus de 5 000 pour le seul mois de janvier.

Cette immigration irrégulière est nouvelle pour le Canada, un pays difficile d’accès en raison de sa situation géographique et qui applique une politique stricte en matière de visas.

« La rapidité du système, entre autres, est ce qui motive les gens à venir. Du côté américain, il faut compter cinq à six ans, voire plus, contre deux ans en moyenne au Canada », explique Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats en droit de l’immigration.

Les appels à fermer le chemin Roxham se multiplient, mais Stéphanie Valois rappelle que dans la « recherche de sécurité, les gens sont prêts à tout » et que le Canada, en tant que pays riche, a une responsabilité. « Les demandeurs d’asile traversent le Darien, ce n’est pas la frontière qui va les arrêter« , dit-elle.

Cette jungle entre la Colombie et le Panama « est une traversée très difficile physiquement, avec des montagnes et beaucoup de boue ».

« Les personnes qui l’ont traversée sont très marquées. Mes clients me racontent des histoires d’horreur, des femmes qui ont été violées, des hommes qui ont été battus, et beaucoup meurent sur cette route », raconte l’avocate aux longs cheveux gris et aux lunettes rondes qui a consacré sa vie à la défense des demandeurs d’asile.

« Si vous tombez, vous mourez.

Cette partie du voyage reste un traumatisme pour l’Haïtien Eli (nom modifié), arrivée récemment et interrogée par l’AFP à Montréal.

« La jungle, c’est le pire », reconnaît la jeune femme aux longues tresses et aux grandes boucles créoles aux oreilles, qui ne perd pas son sourire. « J’ai vu beaucoup de morts sur cette route. Une nuit, nous avons dû dormir à côté des corps », raconte cette femme de 29 ans qui a franchi ce col avec sa petite fille, âgée de deux ans à l’époque.

Au milieu d’une route étroite, des falaises, des animaux sauvages, « vous savez que si vous tombez, vous mourez », ajoute-t-elle.

Et l’autre partie qui fait encore faire des cauchemars à Eli, c’est le passage aux États-Unis, notamment les centres de détention.

« C’est une humiliation ! Ils nous interdisent même de nous laver, de nous brosser les dents », explique-t-elle, évoquant un « traitement inhumain ».

La question des flux de demandeurs d’asile, notamment via Roxham Road, devrait être à l’ordre du jour des discussions entre le président américain Joe Biden et le Premier ministre canadien Justin Trudeau lors de sa visite à Ottawa les 23 et 24 mars.

Pour le Canada, peu habitué à ces questions, la rhétorique sur l’immigration est en hausse. Et de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la renégociation d’un traité qui stipule, à l’instar de l’accord de Dublin en Europe, que les migrants doivent demander l’asile dans le premier pays où ils arrivent.

Pourtant, Carolina, qui a récemment fui avec sa fille et évoque le racisme aux Etats-Unis, voit la situation très différente de celle des Etats-Unis. Cette jeune mère colombienne est heureuse « de pouvoir simplement sortir dans la rue aujourd’hui sans crainte ».

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.