La démocratie au piège du populisme

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Par Camille Loty Malebranche

Tout pouvoir populaire n’est pas nécessairement démocratique ou libérateur. Il en est, tel le populisme – pareil au pouvoir incinérateur d’Érostrate jouant de l’État avec les allumettes des faux espoirs nourris aux émotions volatiles et inflammables des masses – qui constitue une ironie incendiaire de l’inclusion politique et sociale des majorités et minorités qu’est la démocratie.

Le populisme n’est jamais que la réaction de quelques opportunistes par le discours flatteur et la phraséologie flagorneuse envers les bas instincts de secteurs sociaux populaires en crise, réduits au stade de « foule » compacte et de horde primitive, qui doivent y trouver l’illusion de la prépondérance « populaire » sans recul ni lecture sinon que l’immédiat phénoménal des problèmes structurels ou politiques dont ils ignorent le substratum, les mécanismes et causes profondes, tout en versant dans la désignation de boucs émissaires selon leur position de classe. Même de bonne foi, le populisme est donc porté à la dénaturation en véritable ombre simiesque du concept d’émancipation collective qu’il galvaude par l’assomption de la frustration et de la colère populaire au stade de politique. Politique expéditive et d’assouvissement des instincts, privée néanmoins de conscientisation transformatrice.

L’équilibre social, toutefois, ne souffre pas d’être pris à la lorgnette déformante de l’extrémisme du discours d’« amour-passion » des classes sociales sur elles-mêmes par leurs porte-paroles authentiques ou prétendus ! Alors, de fait, la pire déperdition frappant le débat public et l’action politique qui en sourd, lui est infligée par ces amours de classes et leur excès d’appartenance exclusive, exacerbant les clivages de la société. Le populisme incite à des amours-passions de classe, amours-passions combien réductrices de la vision sociale, puisqu’elles altèrent l’action possible sur la situation objective des causes des inégalités et frictions entre classes et dévient naturellement la sérénité des rapports de force qui devraient par les idées et la mobilisation intellectuelle, idéelle et active des combattants du changement, interagir avec la vision en cours au niveau de l’institution sociale et du fonctionnement systémique de l’État.

POPULISME POLITIQUE ET POPULISME CULTUREL.

Le populisme connaît deux faciès principaux : le culturel et le politique.

Aspect Culturel.

Le populisme culturel se reconnaît par la standardisation des loisirs de masse et le nivellement des goûts des spectacles consommés, sur fond d’émotion collective programmée par la structuration bourgeoise du « star système » ou du sport de masse. Il renvoie à cette concorde fallacieuse entre les classes par les talk show et les programmes culturels des grandes chaînes de télévisions mimant l’effacement de la dichotomie caractéristique de toute société capitaliste entre consommation et pauvreté, abondance et privation. L’idéologie bourgeoise contemporaine est celle du nivellement magique et onirique d’une société d’égalité par l’accès aux programmes des mass media et des loisirs populaires malgré toutes les inégalités et disparité de condition sévissant ailleurs entre les classes. L’idéologie bourgeoise se déploie cyniquement et stratégiquement dans le sens de l’abêtissement culturel des différentes couches des classes moyennes entraînées dans une féérie petite-bourgeoise, repues d’idoles créées à leur mesure dans les sports, le cinéma et les talk show ! C’est là, le règne sordide et médiocre du populisme culturel et ses bas instincts de cirque. La sociodicée bourgeoise, ce discours d’autojustification de la société, ainsi structurée, verse dans l’hagiographie des hommes à succès dans la société, pour se faire sympathique envers le peuple, le gavant et le saoulant du populisme culturel susdit où les stars et le loisir (arts faciles, sport idéologisé et spectacles populaires) font, selon leur fonction idéologique, figure illusoire de proximité factice des riches et des puissants avec les pauvres et les exclus par le tintamarre d’une certaine presse populacière principalement télévisuelle et surenchérie dans des revues branchées.

ASPECT POLITIQUE.

(Populisme politique de gauche et de droite. Angélisme de gauche et sociodicée de droite.)

De gauche ou de droite, le populisme est menteur, crapuleusement prometteur et fondé sur la manipulation émotionnelle des individus par de fausses analyses de la situation sociale et l’entretien de faux espoirs.

Populisme de gauche…

Le populisme de gauche est essentiellement une idéologie des pays de la périphérie généralement pauvres ou socialement désarticulés par une structure étatique dysfonctionnelle et d’exclusion qui voit la misère engendrer chez de bonnes franges de la population, l’espoir fébrile de messie politique. Il a comme mode inhérent à son fonctionnement, le discours frustré révolté et pseudo révolutionnaire où un messianisme grossier et grotesque du guide généralement issu lui-même des masses défavorisées et résolument tourné vers une vision platement plébéienne du pouvoir, confère à cet illuminé le statut d’un « leader charismatique » capable de drainer les foules et de déclencher une passion sauvage de horde. Sans leadership réel, le « leader populiste », dans cette occurrence, mise sur la plèbe qu’il exalte et dont les déferlements émotionnels sont pour lui la preuve sacrée de sa mission hiératique, une véritable crédibilité et authenticité transcendante voire prophétique de son statut de chef des masses, seul légitime et envoyé pour cette œuvre quasi cosmique. Sa venue au pouvoir est une sorte de parousie politique que seuls les ennemis du « peuple », notion qui prime celle de nation chez le populiste, osent mettre en question. Toutefois, jamais, le chef populiste – car c’est un chef et non un leader vu ses limites quant à l’axiologie que doit comporter tout leadership – ne peut de fait, aller loin dans ses promesses, par manque de rigueur et de rationalité politique. Du reste, parmi les tares du populisme de gauche, nous notons l’allégorie de mirifiques promesses proclamées en grande pompe en vue de la transformation de la société « injuste » envers les couches défavorisées des classes moyennes et des masses qui se retrouvent confondues dans un rapprochement hyperpatriotique selon une soudaine conscience de ferveur humaniste et civique de ces couches moyennes à l’égard des miséreux citadins et paysans ou du lumpen prolétariat. Le creuset idéologique populiste se borne à cela, et se contente ainsi d’attiser la haine ou le ressentiment des classes entre elles. S’il ressemble au fascisme par son prophétisme, je cite le caractère sacré de la mission du chef, l’autre tare du populisme, et qui le différencie du fascisme, hormis l’implication des classes moyennes qui nourrissent le pouvoir fasciste comme les cohues populistes, c’est l’absence ou la rareté de grandes compétences dans le giron de ses meneurs, absence due à un antiélitisme primaire. Car en général le fascisme, malgré sa répressivité, a un ressort élitiste dans sa vision de la gouvernance, et pour cela, se dote au moins de compétences issues des strates aisées des classes moyennes voire de la bourgeoisie. Pour le populisme, il s’agit toujours de pureté sacrale prophétique et hiératique du nouveau pouvoir à venir et qui refuse de se servir des ressources humaines dûment connues dans la société, précisément parce que celles-ci se seraient « souillées » avec des gouvernements précédents tous suspects d’accointance petite-bourgeoise ou bourgeoise. La « gauche » populiste, prône l’angélisme des masses, la vertu parfaite de la populace pour ne pas avoir à leur indiquer le chemin, pour ne pas être rigoureuse dans l’éducation des masses et surtout, pour ne pas se voir obligée de tenir ses promesses intenables, et, ce qui est crapuleux, pour ne pas risquer de mécontenter sa base électorale et ses électeurs naturels. Tout cela, sans néanmoins cesser de défendre subrepticement les intérêts bourgeois au dédain des vrais intérêts des masses !

Populisme de droite…

Disons-le ici, le populisme de droite nage dans le vague et l’opportunisme idéologique. En pays nantis, son terreau de fécondation et de germination, où les classes moyennes sont souvent majoritaires et constituent à la foi les secteurs socioprofessionnels et consommateurs, il argue de protection desdites classes moyennes par la baisse d’impôts, le financement d’études des jeunes, la protection de la famille et des femmes, et pointe du doigt les minorités, les marginalisés et les plus pauvres jugés non productifs et parasitaires. Il se substitue au fascisme qu’il édulcore et dont il hérite des classes et secteurs d’appui, et comme lui, il enflamme différentes strates des classes moyennes en surenchérissant leur abandon par l’État et l’exaltation de leur droit à un meilleur traitement devant se faire sur la ruine des maigres programmes sociaux tenus au bénéfice des plus paupérisés et aux dépens des « faveurs » trop généreuses accordées aux immigrants par la société trop ouverte aux étrangers ! Nationalisme sordide et balourd brandissant les mêmes thèses de l’idéologie bourgeoise de blâme des victimes de l’ordre social, arborant la haine de l’autre ou tout au moins son mépris et sa culpabilisation ! Car la condition minoritaire des chômeurs, malgré le grand nombre de travailleurs misérables et mal payés, l’altérité des minorités par rapport aux majorités généralement considérées comme ethnie dominante et de souche, doivent entraîner la fermeté de l’État et l’exclusion de ces minorités quelles qu’elles soient au niveau des droits et privilèges. Enfin, c’est du nationalisme versant dans la même rhétorique de la sociodicée bourgeoise où l’establishment social a raison et accuse ceux qu’il veut désigner comme coupable des injustices et dysfonctionnements sociaux. Cela, les populistes de droite, le font sciemment tout en ménageant et absolvant pernicieusement les riches compagnies privées responsables des pires délocalisations, jouissant des plus juteuses subventions de l’État sur le dos des contributions fiscales de toute la société pour la création d’emplois sans sécurité, vu la facilité pour leurs filiales subventionnées de fermer boutique en criant faillite pour s’implanter ailleurs. Sans oublier ici parfois leur culpabilité industrielle dans les pires pollutions ou désastres écologiques et l’exploitation honteuse des démunis (enfants et adultes) des pays où elles s’installent.

Contre le populisme…

Éduquer le peuple est la voie de résistance à l’opportunisme grivois du populisme quel qu’il soit. Voie que les secteurs sains de la société civile doivent prendre avec le peuple. Proposer des méthodes rationnelles d’élucidation des problèmes sociaux et pointer du doigt les seuls profiteurs de l’ordre capitaliste que sont les oligarchies ploutocrates qui possèdent tout et font trimer les non possédants qu’elles bernent par une fausse presse libre vouée à leur idéologie de riches et leurs intérêts de quasi caste, voilà le seul moyen d’émancipation réel des majorités manipulées, moyen éducationnel d’une démocratie rendue à sa vérité. Car l’ignorance du peuple et l’exploitation éhontée de cette ignorance pue toujours dangereusement la claustration sociale et la répression des victimes rendues boucs émissaires ciblés par les populistes et les fascistes, ces fidèles des riches, ces agents zélés mais inavoués de la ploutocratie féroce, qui dénaturent jusqu’au sens de la démocratie dont le vœu suprême – celui de tous les vrais démocrates – est la liberté plénière tant par l’intégration politique qu’économique des majorités comme des minorités.

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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