Flashback|Vidéo. 12 novembre 1964, le dictateur Duvalier fait exécuter publiquement 2 jeunes opposants

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Le plus ironique de cette histoire, est la présence d’un prêtre catholique sur les lieux d’exécution venu donner l’extrême onction à ces braves citoyens. Ils ont refusé le dernier sacrement qu’un prêtre se préparait à leur administrer.

Au moment ou le claquement des fusils faisait sombrer les corps, les jeunes écoliers-spectateurs, conviés pour la circonstance, perdaient brutalement leur innocence.

la mise à mort a lieu non loin du centre de pouvoir, que ces jeunes guérilleros voulaient renverser

Vendredi 12 novembre 2021 ((rezonodwes.com))–Des crimes, des cas flagrants d’assassinat restés toujours impayés et impunis 57 ans plus tard. Le régime des Duvalier [père et fils] traîne encore derrière un long passif, la résultante de tous les malheurs du peuple haïtien en cette deuxième décennie du XXième siècle qui voguent dans un monde d’impunité, d’abus et d’actes d’exactions.

Adossés au mur du cimetière extérieur de la ville, deux jeunes rebelles, Louis Drouin et Marcel Numa, sont fusillés sous le regard médusé de la Nation.

Ce n’était pas la première fois qu’un chef d’État faisait exécuter ses adversaires dans notre histoire troublée. Il y eut, parmi tant d’autres, l’exécution des frères Coicou, celle du président Salnave sur les ruines du palais national ; etc.

Mais celle du 12 novembre 1964 revêtait un symbolisme particulier.

Elle apparaissait comme une grande première dramatique, en ce sens qu’elle était diffusée en boucle sur la seule télévision de l’époque et retransmise, en direct absolu, sur les radios.

Elle avait, donc, cette tragique singularité d’être la première exécution sommaire médiatisée dans notre pays. En ces années de cendres, François Duvalier avait déjà saisi la portée de la révolution médiatique, d’autant que les radios clandestines hantaient son sommeil.

Une décision du pouvoir de l’époque, qui voulait donner à l’événement une allure spectaculaire et mettre sous contrôle les imaginaires.

A noter aussi que le « spectacle » a lieu non loin d’un stade, on a largement rapporté les passions intellectuelles du président François Duvalier pour les agapes romaines.

Et la proximité du cimetière, aux frontières du « royaume des morts » devait aussi frapper l’imagination. Le chef de l’État, qui déroutait ses amis et adversaires par son sens de la mise en scène et de la dissimulation, voulait, à n’en pas douter, frapper un grand coup qui devait marquer les consciences et faire trembler tout le pays.

Un autre symbolisme de l’espace, la mise à mort a lieu non loin du centre de pouvoir, que ces jeunes guérilleros voulaient renverser et, aux portes sud de la ville.

A noter aussi que les deux fusillés sont un noir et un mulâtre. Comme quoi, ici, l’idéologie de couleur fond comme beurre au soleil.

Le réel, le nu, c’est ce qui se montre à même le masque, la question de couleur disparaît devant les fondamentaux de la lutte politique réelle et mortifère.

Mais pourquoi ce traitement macabre de l’épopée tragique et désespérée de ces jeunes ?

Il faut relever que le dictateur lui-même avait du être fasciné par leur courage.

Dans la mesure où on peut se fier au récit de Jean Florival, dans son livre « La face cachée de papa Doc », le journaliste et chercheur affirme, en effet : « Avant l’exécution des deux jeunes gens, Duvalier manifeste le désir de rencontrer Drouin. L’occasion est offerte à Drouin de faire part librement de ses griefs ayant motivé ses compagnons et lui à entreprendre cette invasion. Duvalier, à son tour, essaie de justifier sa vision des choses… Aux environs de midi, Mme Duvalier vient chercher son mari diabétique qui doit manger à des heures précises … Duvalier apprend, à son retour, que Drouin aurait été giflé par Jean Tassy, en son absence ».

Jean Florival de poursuivre avec son récit : « Duvalier, apparemment contrarié, réprimande ses hommes : « ne vous permettez pas de contrevenir aux ordres d’un chef suprême, apprenez à respecter les gens qui font preuve de courage et de dignité ».

La légende voulait qu’il puisse se laisser aller jusqu’à la fascination pour le courage de ceux qui osaient le défier et les respectaient secrètement.

Sait-on tout ce qui peut se passer dans l’inconscient des hommes, fussent-ils de grands « fauves » de l’Histoire ?

Les deux jeunes sont quand même exécutés.

Mais, en cette année 1964, la révolution Duvaliériste venait de faire face à l’une des entreprises les plus déterminées visant à mettre fin à un règne, dont le défi était de durer envers et contre tout.

La guérilla, des Treize de Jeune Haïti, qui dura trois longs mois, semblait prendre racine dans les montagnes du Sud-Ouest.

Duvalier, qui connaissait l’Histoire de ce pays, était au fait de la longue tradition révolutionnaire d’un Sud longtemps insoumis, depuis un certain André Rigaud et plus tard Jean Baptiste Perrier dit Goman.

Les premières tentatives contre son gouvernement avaient l’air de pétards mouillés, comparés aux prouesses de ces jeunes cernés dans les montagnes, mais qui défiaient, dans une guerre asymétrique, les troupes du régime de loin mieux équipées.

Ils étaient mal pris dans ces monts escarpés, sans renforts à l’horizon et sans ravitaillement. Ils n’avaient pour horizon indépassable que leur bravoure et leur détermination à mourir debout, leur idéalisme et leur rêve de jeunesse, fasciné par le grand soir et le grand chambardement.

En face, il y avait un homme d’État et ses phalanges, un homme qui avait lu, de manière compulsive, tout Moustapha Kemal et Machiavel, et qui alliait théorie politique à une esthétique du néant, pour citer le philosophe Alain Badiou.

Pour François Duvalier, l’Histoire était comme une sorte d’opéra sanglant, où s’exposaient violence réelle et semblant nudité et travestissement, mythes et totems.

Et, comme de fait, il se devait de préparer la mise à mort théâtralisée de ces jeunes et conviait, pour l’occasion, des fonctionnaires et des écoliers.

Le message était clair, la politique mène tout droit au poteau d’exécution. 

La violence est à la fois symbolique et réelle. L’horreur n’a sûrement pas commencé avec son régime et ne s’est pas terminée avec sa chute, mais elle a connu une instrumentalisation d’une rare sophistication.

Dans ce théâtre de violence et d’ombres, les fusillés ont gardé une sérénité que l’Histoire retiendra.

Sur les photographies de l’exécution, ils ont gardé un visage impassible. Ils ont refusé le dernier sacrement qu’un prêtre se préparait à leur administrer.

Comment des jeunes, à peine sortis de l’adolescence, ont pu garder un tel calme devant le spectacle tragique de leur propre mort ?

A quoi pensaient-ils, en ce moment fatidique ? A leurs compagnons restés dans la montagne ? A ceux qui les avaient promis des renforts, s’ils tenaient un mois ?…ils ont tenus trois ! A ce pays ensanglanté, depuis des lustres, par un état de guerre permanent ?

Eux, qui voulaient, par un engagement jusqu’au sacrifice ultime, faire flamboyer l’avenir, ont voulu – à travers « la verticalité de leur regard » – envoyer un message aux générations futures, pour plus de progrès et de paix sur cette terre déchirée.

Au moment ou le claquement des fusils faisait sombrer les corps, les jeunes spectateurs, conviés pour la circonstance, perdaient brutalement leur innocence.

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