Quid des nationalistes: Après les dominicains, que dire de l’aide des américains?

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par Dr Jean Ford G. Figaro
Vendredi 4 Novembre 2016 (rezonodwes).- Il ne fait aucun doute que le vaillant peuple haïtien, à travers ses deux centenaires d’indépendance a toujours été traversé par des courants patriotiques et nationalistes. Aujourd’hui, ces deux concepts sont profanés et galvaudés dans les salons comme dans les rues. Beaucoup de personnes, même les plus avisées, font la confusion et prétendent être nationalistes ou patriotes sans en apercevoir la véritable signification, plus particulièrement en politique.




Le nationalisme n’est pas l’antipathie envers les étrangers ou l’expression de la xénophobie, mais l’amour et le respect de ses traditions, de son identité, de son pays, ce qui va d’ailleurs plus loin que le patriotisme, qui n’est en grosso modo, que la défense des frontières physiques.
Il faudrait ajouter sur le même ton pour les concitoyens haïtiens que le nationalisme est attaché à la défense de l’héritage intellectuel, morale, politique, religieux et artistique. Les patriotes sont ceux qui défendent l’intégrité du sol national en cas d’invasion d’une force étrangère. Dans son ouvrage, Analyse Schématique, le célèbre Jacques Roumain, a écrit que le nationalisme haïtien a pris naissance de l’occupation américaine et de la corvée rétablie dans les campagnes haïtiennes par les occupants. Si ces deux concepts sont complémentaires, ils ont des connotations différentes. Contrairement à ce que préconisait, l’homme de gauche Romain Garry, « le patriotisme, c’est d’abord, l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord, la haine des autres.




Dans ce même contexte, on ne saurait oublier le mouvement indigéniste qui avait pour devise « Soyons nous-mêmes, le plus complètement possible ». L’indigénisme se veut une réaction de l’intelligentsia haïtienne contre la violation de notre territoire en 1915 par la république étoilée. Ce vaste mouvement intellectuel dirigé par le docteur Jean Price Mars a été une re-définition et d’affirmation de l’identité haïtienne. Dans son livre, Ainsi parla l’oncle, le premier manifeste de la condition noire, le médecin ethnologue a mis en avant les traditions, les légendes populaires, le vaudou et tout l’héritage africain qui fondent les cultures noires. Il n’avait pas hésité pas à taxer les intellectuels haïtiens de « bovarysme collectif », ce pouvoir « qu’a l’homme de se concevoir autre qu’il n’est », selon la définition du philosophe Jules de Gaultier. Si l’auteur de Gouverneurs de la rosée était encore vivant, que dirait-il des intellectuels de nos jours? Il les auraient peut-être demandé, pourquoi vous n’avez pas défendu le peuple haïtien avec votre plume de cette présence des armées onusiennes depuis plus de 10 ans?
Après la décision des États-Unis d’Amérique de ne pas financer les élections qui étaient prévues pour la date du 9 août en Haiti, en toute vraisemblance, la superpuissance a changé d’avis, énonçant un « besoin inattendu, urgent, de réhabiliter les centres de vote et les routes affectées, » après le passage de l’ouragan Matthews. Pour des raisons qui ne sont pas totalement divulguées, le département d’état avait pris une décision de laisser les haïtiens financer leurs propres élections. Les américains se sont toujours mêlés de cette fête de la démocratie en mettant à la disposition de l’état haïtien, une assistance technique et une enveloppe financière pour la tenue des joutes électorales au cours de ces dernières années, qui le plus souvent se terminent par une large sélection des gagnants, émaillée de violence et de perte de vies humaines.
Depuis cette annonce qui d’ailleurs, faisait grand mal au capitalisme électoral haïtien, qui s’apprêtait à dépenser une autre somme de 100 millions de dollars, un courant nationaliste a soudainement émergé et parcouru les veines dilatées de notre gouvernement et de notre classe politique. Une frange de nos élites, qui malheureusement a raté la vocation préconisée par Jean Price Mars, s’est précipitée en besogne pour demander la rapatriement de la souveraineté haïtienne. Si souveraineté, on en avait. Ils ont claironné dans tous les médias que c’est une bonne opportunité de nous faire valoir comme les vrais fils de Dessalines. Certains ont même suggéré un fonds spécial qui serait appelé « Fond de la souveraineté haïtienne ». Les enfants naturels et légitimes se sont tous montés au créneau pour souffler le « Lambi » de l’indépendance électorale haïtienne et tourbillonner les voies auditives de ceux qui étaient perplexes face à cette velléité .
Ce courant dessalinien a défrayé encore la chronique quand les dominicains se sont offerts pour aider Haiti, en envoyant une aide assez impressionnante de 500 camions de nourriture, de matériels lourds et autres…, accompagnée d’un contingent militaire afin d’éviter le pillage de leur assistance humanitaire. Ces nationalistes ont grogné très fort pour demander le retrait immédiat des soldats dominicains, mais pas le retour de leurs produits, sur le sol haïtien. Plusieurs de ces parlementaires qui dénonçaient à gorge déployée l’assistance dominicaine, ont été eux-mêmes au parc industriel de la SONAPI, malgré les propos outrageux et irrévérencieux du chef de l’état. Sans aucun gêne, avec leurs armes à la main, ils ont été tyrannisés les responsables afin de s’accaparer de leur part du gâteau. Le président provisoire dans un discours improvisé, ayant à ses côtés, l’illustre secrétaire général sortant des Nations Unies, a tiré à bout portant sur ces hommes politiques et les nationalistes. Très offusqué, le chef de l’état a questionné ce soulèvement patriotique en demandant aux chefs de file, pourquoi ce nationalisme sélectif? Et les autres militaires ne sont-ils pas passibles du même jugement?
De cette frustration, le président a fabriqué une nouvelle expression devenue célèbre et popularisée par le rythme rabòday, est-ce que ça dérange? De façon prémonitoire, j’ose augurer que le président Jocelerme Privert sera le personnage central des meringues carnavalesques de l’année 2017. Il ne fera pas l’exception, car les hommes politiques sont souvent la source d’inspiration des musiciens haïtiens et des bandes de Rara depuis le général Charles Oscar Etienne, connu sous le sobriquet de Chaloska.
L’ambassade américaine a fait l’heureuse annonce que les Etats-Unis vont financer les élections qui se tiendront probablement le 20 novembre 2016. Comme nous sommes en Haiti, rien n’est garanti, il faut adopter l’attitude de Saint-Thomas. Le pays s’attend à la même effervescence qui a caractérisée les nationalistes conjoncturels de la république, pendant les dernières semaines. Les dominicains eux-mêmes souhaitent un traitement égalitaire et non-discriminatoire après avoir apporté une contribution de plus de 10 millions de dollars en aide au peuple haïtien. Si je crois bien comprendre l’histoire haïtienne, Dessalines et tous ses généraux avaient combattu toute forme de colonisation et d’occupation du territoire national. Ils n’avaient jamais compris que la présence de l’un est agréable et celle de l’autre dissémine des odeurs pestilentielles.
Depuis le 1 juin 2004, les soldats de la force onusienne sont sur la terre de la république, certains d’entre eux, ont commis des actes abominables qui ont déshonorés la morale traditionnelle de notre société. Des militaires de tout horizon, sont en Haiti dans le cadre des missions humanitaires au profit des sinistrés de l’ouragan Matthews. Pourquoi s’en prendre seulement aux dominicains?
Certains cyniques diront que nous avons eu des contentieux historiques avec la République Dominicaine. Je me demande si nous n’avons pas eu des épisodes litigieux avec un état qui a souillé le sol national le 28 juillet 1915 et qui dispose des soldats actuellement en Haiti? Je me demande si la république d’Haïti n’entretient pas de bonnes relations avec un pays qui nous a rançonnés une somme pour notre indépendance, estimée à plus de 20 millards de dollars? N’avons-nous aucun problème avec un pays qui nous avait obligés sous la pression de nous bombarder, de descendre le bicolore haïtien pour hisser un drapeau blanc le 6 décembre 1897, lors de l’affaire Luders sous la présidence de Tiresias Simon Sam? Ces pays dits amis, ne comptent-t-ils une force militaire en Haiti? Autant de questions que les nationalistes/patriotes devront répondre…
On répète souvent que les élections constituent un exercice de souveraineté nationale. Les nationalistes ne vont pas oublier qu’un représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en Haiti, avait demandé avant la fin du mandat d’un président élu, son départ du pays. Plusieurs e-mails de wikileaks confirment que des étrangers très puissants avaient influencé les résultats de ces élections. Malheureusement, le courant nationaliste n’a pas jamais opiné et continue de garder un silence absolu sur ces faits.
Malgré les grands besoins du pays après la destruction laissée par l’ouragan, je reste optimiste que ceux qui avaient réclamé « l’haitianisation » des élections auront le courage de repousser l’aide américaine aux élections. Je suis confiant que ce mouvement dira NON au support des Nations Unies et de l’Unops dans la réalisation présumable des compétitions électorales de novembre. La jeunesse haïtienne est dans l’attente d’une levée de boucliers en toute urgence contre toute armée étrangère sur le territoire. Le pays reste en attente d’un acte de grandeur de la part de nos élites, lequel sera d’octroyer à l’aide étasunienne, le même traitement infligé aux dominicains.




Les curieux présument déjà que le comportement sera proportionnel et sans parcimonie. Sinon, ce sera encore une démonstration de « l’hypocrisie haïtienne » de la classe politique et des pseudo-nationalistes. Peut-être, c’est la diplomatie de deux poids deux mesures. Comme dit le proverbe haïtien « pa gen fe back devan gran back », attendons voir la réaction de nos chers nationalistes. Vont-ils protester l’aide américaine?
 
Dr Jean Ford G. Figaro, MsC-HEM
Boston University, Massachusetts!
jeanfordfigaro@yahoo.com

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