24 octobre 2017 ((rezonodwes.com))–
Rapport d`enquete du RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains)
Sommaire
I. Introduction 2
II. Méthodologie 2
III. Faits antérieurs 2
IV. Les Faits 3
V. Bilan de l’opération musclée des agents de l’unité BOID 4
VI. Situation actuelle des zones 7
VII. Commentaires et Recommandations 7
I. Introduction
Selon les informations diffusées dans plusieurs stations de radios de Port-au-Prince, dans la journée du 12 octobre 2017, un agent de la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID) est abattu à Lilavois 39, par des individus armés circulant à bord de motocyclettes.
Suite à cet assassinat, des agents de ladite unité ont fait une descente des lieux au cours de laquelle, plusieurs personnes auraient été exécutées, plusieurs maisons et véhicules auraient été incendiés.
En vue de s’enquérir de la situation, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a diligenté une enquête et se propose de partager avec tous ceux que la question intéresse, les résultats de ses investigations.
II. Méthodologie
Dans le cadre de cette enquête, le RNDDH s’est entretenu avec :
• Des autorités policières
• Des membres de la famille du policier abattu, l’Agent II Watson JEAN
• Des victimes de l’expédition punitive de la PNH
• Des riverains de la zone
III. Faits antérieurs
Le 30 septembre 2017, dans une ambiance musicale, les habitants de Lilavois, quartier dépendant de la Croix-des-Bouquets, célébraient la fête patronale Sainte-Thérèse.
Plusieurs agents de la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID) est intervenue pendant les festivités, ont procédé à la fouille systématique des individus trouvés sur les lieux et ont rasé les cheveux tressés d’un présumé bandit connu sous les sobriquets de Angelo et Ti Angelo.
Offusqué de ce que les agents lui aient rasé les cheveux, Angélo ainsi connu a déclaré, selon les riverains, que chaque tresse de ses cheveux sera remplacée par la tête d’un agent de BOID.
Le 12 octobre 2017, aux environs de douze (12) heures, Watson JEAN, agent II de la Police Nationale d’Haïti (PNH), affecté à la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID), conduisant une motocyclette et accompagné de sa compagne Sheïla SERA qui fêtait ce jour-là son 29ème anniversaire, venait d’effectuer une transaction à la succursale de la UNIBANK située à Lathan.
Arrivés à leur résidence sise à Lilavois 39, Sheïla SERA est descendue de la moto pour ouvrir la barrière donnant accès à la cour. Alors qu’elle ouvrait la barrière, deux (2) individus, à visage découvert, ayant en leur possession deux (2) motocyclettes, qu’il ont stationnées à quelques mètres de la maison, ont abordé Watson JEAN, lui affirmant savoir qu’il est un policier et l’enjoignant de leur remettre son arme à feu.
L’agent BOID a tenté de dégainer son arme à feu et a été surpris par ces derniers qui l’ont balayé avant de lui tirer dessus. Selon sa campagne, il semble qu’il ne s’était pas rendu compte que ses agresseurs étaient armés.
Le policier Watson JEAN a été froidement exécuté sous les yeux de sa compagne qui a crié au secours. L’arme à feu du policier a été emportée et remise, selon plusieurs, à Angélo. Sheïla SERA qui s’était mise à couvert, est retournée sur les lieux du crime peu de temps après et, aidée du père de son compagnon, Joseph Joassaint JEAN, l’a emmené à l’Hôpital Médecins Sans Frontières (MSF). Cependant, il est mort en cours de route.
Selon le procès-verbal du magistrat Gaspard ULYSSE, juge de paix de la commune de la Croix-des-Bouquets, dressé partiellement à l’Hôpital Médecins Sans Frontières (MSF), « plusieurs plaques d’adhésive ont été constatées sur les membres inférieurs, le tronc et l’abdomen de la victime. Elles recouvraient les trous de balles perdues dans son corps. »
Il convient de souligner que selon Joseph Joassaint JEAN, Watson JEAN ne faisait pas partie du contingent de BOID qui est intervenu à Lilavois 42 le 30 septembre 2017. Il accompagnait alors le président de la République à Camp-Perrin, dans le département du Sud, dans le cadre des activités de la caravane présidentielle.
IV. Les Faits
En représailles à l’assassinat du policier Watson JEAN, le même jour, dans l’après-midi, des agents de BOID ont diligenté une expédition punitive dans les zones de Lilavois 5, Lilavois 9, Lilavois 10, Lilavois 10 A et Lilavois 11 A.
Lors de cette opération, certains agents portaient leur uniforme, d’autres en civil, étaient vêtus de sous-vêtements.
Ils ont demandé des allumettes à une marchande de nourriture, qui se trouvait à Lilavois 10. Ils les ont utilisées pour mettre le feu aux maisons et aux véhicules.
Si le sous-commissariat de Bon Repos, n’était pas au courant de cette opération ni n’avait été impliquée, selon les informations recueillies par le RNDDH, le commissaire principal du commissariat de la Croix-des-Bouquets était, pour sa part, au courant.
De plus, selon la PNH et selon de nombreuses personnes rencontrées dans le cadre de cette enquête, à Lilavois 10 plusieurs individus impliqués dans la perpétration d’actes répréhensibles et recherchés par la police, s’y sont réfugiés. Parmi eux, on retrouve :
• Emerson GERVI alias Mafia.
• Angélo ainsi connu
• Tizo ainsi connu
• Grégory ainsi connu
• Amaral ainsi connu
V. Bilan de l’opération musclée des agents de l’unité BOID
Le bilan de l’expédition punitive de la BOID peut être ainsi présenté :
1. Une (1) personne a été exécutée. Il s’agit de Pierre Paul DORSAINVIL, âgé de trente sept (37) ans. Arrêté à Lilavois 11 A, son corps sans vie sera retrouvé à Lilavois 17 prolongé.
2. Deux (2) personnes sont portées disparues. Il s’agit de Jean Claudain SAINT-JACQUES et Romain INNOCENT. Ils avaient eux aussi été arrêtés.
Jean Claudain SAINT-JACQUES, âgé de trente-sept (37) ans devait se marier le 23 décembre 2017. Il a été arrêté à impasse Coriolan, Lilavois 10. La photo de son cadavre circule sur les réseaux sociaux ;
Jean Claudain Saint Jacques
Romain INNOCENT, commerçant, âgé de quarante-sept (47) ans, est père de cinq (5) enfants dont deux (2) filles. Il a été arrêté à impasse Coriolan, Lilavois 10. De même que pour Jean Claudain SAINT-JACQUES, la photo de son cadavre circule sur les réseaux sociaux alors que son corps n’est pas encore retrouvé.
RRomain Innocent
3. Huit (8) personnes au moins ont été bastonnées dont quatre (4) à Lilavois 10 et quatre (4) autres, à Lilavois 9.
• James MERISIER, un maçon âgé de vingt-six (26) ans, a reçu plusieurs coups au niveau de la tête, ce qui lui a occasionné des blessures. Il est le père d’un bébé de trois (3) mois ;
• Robenson JOSEPH, un commerçant, père de deux (2) enfants âgés respectivement de sept (7) ans et d’un (1) an, a reçu un coup au visage lancé avec la crosse de l’arme à feu de son agresseur.
James MERISIER et Robenson JOSEPH ont confirmé que Jean Claudain SAINT-JACQUES et Romain INNONCENT ont été arrêtés, en leur présence, par les agents de BOID.
• Germy CONSTANT, propriétaire du Barber Shop Germy, a été bastonné alors qu’il se trouvait à l’intérieur de la maison de son père Romère CONSTANT, qui a été incendiée. Son business a été saccagé ;
• Sabrina CHERY, compagne de Germy CONSTANT a été frappée à coups de bottes par les agents de BOID. De plus, un agent a mis le feu à son lit puis lui a demandé de s’y coucher. C’est grâce à l’intervention d’un autre agent qui a prétexté avoir besoin de son agresseur, qu’elle a eu la vie sauve ;
• Un garçonnet de cinq (5) ans du nom de Gervens ADRIEN a été giflé par un agent de BOID ;
• Un garçon de quatorze (14) ans du nom de Charlins ADRIEN a reçu un coup de botte à la tête ;
• Une fille de quinze (15) ans, Wideline JOSEPH, a reçu un coup de chaise au bras gauche ;
• Bidly FEDE, âgée de vingt-six (26) ans a été giflée par un agent de BOID.
4. Neuf (9) personnes ont été arrêtées dont trois (3) femmes et six (6) hommes sous les chefs d’accusation d’association de malfaiteurs et de complicité d’assassinat sur la personne de Watson JEAN. Elles étaient gardées au commissariat de la Croix-des-Bouquets jusqu’au 19 octobre 2017, date à laquelle elles ont été transférées au Service Départemental de la Police Judiciaire (SDPJ). Il s’agit de :
• Claudy CAJUSTE
• John Cleef SAINVIL
• Robenson LORMEUS
• Willem JEAN-BAPTISTE
• Isaac ETIENNE
• Davidson ALFRED
• Emmanuela PAUL
• Guerda SAINT-VICTOR
• Sophia COBY NIKE
5. Trois (3) maisons ont été incendiées.
• La première compte quatre (4) pièces. Elle est située à Lilavois 10. Elle appartient à Enock GUERRIER.
• La deuxième est une maisonnette de trois (3) pièces. Située aussi à Lilavois 10, elle appartient à Romère CONSTANT.
Maison de Enock GUERRIER
• La troisième maison, située à Lilavois 5, comporte quatre (4) pièces et appartient à Mona PETION. Cette dernière, mère de cinq (5) enfants, est une commerçante qui a perdu toutes ses marchandises lors du saccage suivi de l’incendie de son domicile. Elle affirme que plusieurs de ses effets personnels ont été emportés par les agents de BOID dont deux (2) ordinateurs portables.
6. Deux (2) hangars qui servaient de boutiques à leurs propriétaires, localisés à proximité de la maison de Enock GUERRIER ont été incendiés.
7. Deux (2) maisons situées à Lilavois 10 ont été saccagées. La première appartient à Rémy FRANÇOIS et la seconde, à Yvone BARON.
8. Une(1) voiture et une (1) motocyclette ont été incendiées alors qu’une (1) autre voiture a été endommagée. En effet :
• Un véhicule de marque Honda, qui se trouvait devant l’entreprise de fabrication de blocs en béton, Euro Blocs, dans la zone de Lilavois 5, a été complètement incendié.
• A Lilavois 5, une motocyclette de couleur gris et blanc, de marque Haojin immatriculée au numéro 00313, propriété de Cantave BELSON, a été incendiée.
• Un autre véhicule, localisé à Lilavois 10 A, de marque Isuzu Amigo, immatriculé au numéro AA-94749, appartenant à Wilson JEAN, a été vandalisé par les agents BOID qui ont relevé le capot de ladite voiture et y ont versé du sucre dans le moteur. De plus, ils ont cassé le pare-brise, les feux de signalisation arrière du véhicule avant de rendre inutilisables les quatre (4) pneus.
Le RNDDH a aussi répertorié des actes de méchanceté gratuite qui ont été perpétrés par les agents de la BOID. A titre d’exemple, sur la route de Lilavois, la nourriture d’une marchande a été jetée par terre et, injonction lui a été faite de rentrer chez elle. Mère de cinq (5) enfants, elle s’adonnait au commerce de nourriture pour subvenir aux besoins de sa famille. Ce jour-là, elle a perdu tous ses investissements.
VI. Situation actuelle des zones
D’une part, la situation de la zone de Lilavois est caractérisée par une psychose de peur généralisée. Les commerçants hésitent à reprendre leurs activités. La population est sur des charbons ardents, et craignent une autre descente des lieux, un agent de la BOID les ayant informés qu’ils comptaient mener cette expédition punitive pendant un (1) mois au moins.
D’ autre part, la zone présente un aspect désolé. Les dégâts provoqués par les incendies étaient encore visibles au moment de l’enquête menée par le RNDDH. Les murs des maisons sont noirs de fumée, les objets carbonisés jonchent le sol et stoïquement, plusieurs personnes essaient de recommencer, affirmant aussi ne pas vouloir porter plainte car, n’ayant aucune confiance dans le système de justice du pays. Elles dénoncent le fait qu’elles aient eu à subir une attaque de ce genre, perpétrée par ceux-là mêmes qui sont appelés à les protéger.
De leur côté, les victimes dont les maisons ont été incendiées ont perdu leurs actes d’état civil, ainsi que d’autres pièces importantes telles que leurs passeports et cartes d’identification nationale. Elles ont aussi perdu leurs effets personnels notamment, leurs vêtements.
VII. Commentaires et Recommandations
Le RNDDH condamne avec la plus grande véhémence, l’assassinat du policier Watson JEAN et présente ses sincères condoléances à sa compagne ainsi qu’à tous les membres de sa famille. Watson JEAN est un policier de trop, tué par des bandits armés.
Le RNDDH s’inquiète de la facilité avec laquelle les individus armés opèrent dans le pays et s’attaquent aisément aux agents de la seule force armée haïtienne appelée à sécuriser les vies et les biens. En effet, de mars à octobre 2017, au moins dix (10) policiers ont perdu la vie, soit une moyenne de plus d’un policier par jour.
Toutefois, le RNDDH estime que l’assassinat du policier Watson JEAN ne justifie pas l’expédition punitive et aveugle menée le 12 octobre 2017 à Lilavois 5, Lilavois 9, Lilavois 10, Lilavois 10 A et à Lilavois 11 A. Cette opération est d’autant plus regrettable que les informations recueillies sur le terrain, pointent du doigt sinon les personnes ayant perpétré l’assassinat, du moins, celle à qui l’arme à feu de Watson JEAN avait été remise. Si les policiers avaient pris le temps de rechercher Angélo et sa bande, ils auraient arrêté les vrais coupables de cet assassinat.
Pour un agent de la BOID assassiné, une (1) personne a été exécutée après son arrestation, deux (2) autres sont portées disparues après qu’elles aient été arrêtées, huit (8) personnes au moins ont été bastonnées dont un petit garçon de cinq (5) ans, neuf (9) personnes ont été arrêtées, trois (3) maisons et deux (2) hangars servant de boutiques à leurs locataires, ont été incendiées, deux (2) autres maisons ont été saccagées, et enfin, une (1) voiture et une (1) motocyclette ont été incendiées alors qu’une autre voiture a été vandalisée.
A un moment où la situation sécuritaire du pays empire chaque jour, le RNDDH rappelle à la PNH que ce n’est pas en menant des opérations punitives aveugles qu’elle viendra à bout du problème. Au contraire, elle doit œuvrer au respect de l’institution policière et donner l’exemple en suivant les règles établies, selon lesquelles, pour tout accroc à la Loi, les contrevenants sont traqués, arrêtés, traduits par devant une autorité de jugement pour y être condamnés.
Enfin, le RNDDH recommande aux autorités policières de :
• Faire la lumière sur l’assassinat de l’agent II Watson JEAN ;
• Arrêter et traduire par devant les instances de justice, les criminels impliqués dans l’assassinat du policier Watson JEAN ;
• Enquêter sur les assassinats en série des policiers, et traduire par devant instance de jugement, les individus qui y sont impliqués ;
• Elaborer avec des experts en la matière, un plan de sécurité en faveur des policiers qui sont trop facilement attaqués et assassinés par des individus armés ;
• Enquêter sur l’expédition punitive du 12 octobre 2012 et sanctionner avec la dernière rigueur, les agents qui y sont impliqués.
RNDDH


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