6 novembre 2025
Haïti, le pays que des « gangs à cravate » kidnappent jour après jour
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Haïti, le pays que des « gangs à cravate » kidnappent jour après jour

L’Edito du Rezo

L’air est saturé de peur. Les artères de la capitale, jadis bruissantes de vie, sont désormais livrées à une inquiétante immobilité. Là où s’entremêlaient jadis les cris des marchandes et les moteurs pressés, règnent le silence des enlèvements et la rumeur sourde des rafales. Le rapt est devenu un droit de passage, une taxe imposée par les ténèbres. Le droit de circuler librement, garanti par l’article 24-2 de la Constitution de 1987, n’est plus qu’un souvenir administratif.

À Port-au-Prince, les chauffeurs de transport en commun se voient dépouillés de leurs véhicules, et les passagers, délestés de leurs économies. Dans l’Artibonite, on brûle encore des maisons, comme si l’on voulait effacer les dernières empreintes d’un pays qui tente de se souvenir de lui-même. À Marchand-Dessalines, la demeure coloniale de Charlotte Macadieu, vestige d’une époque où la mémoire avait encore un toit, s’apprête à s’effondrer dans le déboulement. Haïti s’éteint sous le feu et l’oubli.

Comme pour parachever ce tableau d’effondrement, la nature s’en est mêlée : l’ouragan Mélissa a balayé des écoles, charriant la désespérance jusque dans les cahiers détrempés des enfants. Et pendant que la terre se délite, le gouvernement, lui, « ces gangs a cravate« , fustige le reverend pasteur Malory Laurent de Salvation Church (New York), parle de calendrier électoral. Ironie administrative ou mépris institutionnalisé ? Ce même pouvoir, qui disposait des mois d’avril 2024 à juillet 2025 pour enclencher un processus électoral conforme à la loi électorale et à l’article 191 de la Constitution, n’a rien fait. Aujourd’hui, il promet des urnes sur des décombres et des bulletins sur des braises.

Le scandale de la Banque nationale de crédit — un braquage d’État, diront les moins diplomates — a révélé la décomposition morale du Conseil présidentiel de transition. Trois de ses membres, impliqués dans cette affaire, parapheraient éventuellement un décret convoquant le peuple aux urnes. L’État se caricature : la légitimité se signe désormais à l’encre de la honte.

Ce glissement institutionnel traduit une faute politique grave et une trahison juridique. Car un pouvoir transitoire illegitime ne peut convoquer le corps électoral ni engager le pays dans un processus dont il n’a ni la crédibilité ni la durée pour en garantir l’issue. Cette dérive constitue une violation ouverte du principe de continuité républicaine.

Pendant ce temps, à quelques heures de vol de Port-au-Prince, les Haïtiens de New York et du New Jersey ont observé, mardi soir, la simplicité tranquille d’élections libres. Des candidats qui ont fait campagne une année entière, débattu, convaincu, voté. Ce contraste est une gifle : Haïti veut des élections sans campagne, des urnes sans électeurs, un État sans foi. Le Conseil électoral provisoire et le Conseil présidentiel de transition se dévitalisent mutuellement dans une farce institutionnelle que même l’Église catholique — souvent prudente — ne saurait bénir. Quand le sacré recule, c’est que le profane a tout envahi.

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