Sous les drapeaux qu’il prétend honorer, le Conseil Présidentiel de Transition récite sa fidélité à Dessalines comme on psalmodie un texte vidé de son âme. L’apparat tient lieu de conviction, et la rhétorique de patriotisme remplace la substance morale. En cette journée censée rappeler le sacrifice fondateur de 1806, la parole publique se dérobe derrière une mise en scène de piété républicaine où tout sonne faux : le pouvoir loue la liberté au moment même où il sollicite l’occupation.
Laurent Saint-Cyr, à la tribune des Nations Unies, n’a pas seulement demandé le secours du Chapitre VII ; il a consacré la faillite du projet dessalinien. La première République noire indépendante, née dans le refus de la tutelle, se retrouve, deux siècles plus tard, réduite à implorer l’assistance étrangère pour « rétablir l’ordre ». Ce n’est plus un écart, c’est un abîme moral : là où Dessalines exigeait la souveraineté dans le sang et la clarté, Saint-Cyr plaide la dépendance au nom de la paix.
Le 17 octobre, devenu rituel administratif, n’est plus un acte de mémoire, mais un simulacre politique. La transition, sans légitimité ni vision, a fait de cette date un théâtre d’auto-absolution. Sous les formules convenues – « courage », « détermination », « dignité » – s’abrite une volonté de survie politique. Les élections ne sont qu’un décor, un instrument de continuité sous le masque du changement. Le peuple, encore une fois, n’est qu’invité d’honneur à une cérémonie où sa voix n’a pas droit de cité.
On parle de bandits sans nom, mais on tait leurs protecteurs à cravate abiye tou de blan tankou Chaloska; on dénonce la violence tout en ménageant ceux qui la financent. L’État n’est plus qu’un mirage entretenu par ceux qui profitent de sa ruine. Ce cynisme tranquille, drapé dans les symboles de la nation, signe la mort de toute morale publique.
Haïti n’a nul besoin d’une prétendue « force robuste » sans l’édification préalable d’un véritable système judiciaire apte à rompre le cycle de l’impunité. Ce qu’il lui faut, c’est une conscience nationale, lucide et intransigeante. Le salut du pays ne viendra pas d’armes importées, mais d’hommes droits, capables de nommer les fautes et de tenir parole. Le peuple, lui, reste immobile au seuil de sa propre histoire, dans l’attente qu’une voix juste rompe enfin le long silence de la trahison.
Et si Laurent Saint-Cyr et pairs avaient vécu en 1806, nul doute qu’ils auraient choisi leur camp : celui des conciliateurs avec l’occupant, des administrateurs de l’ordre colonial rebaptisé « sécurité ». Comme aujourd’hui, ils auraient invoqué la paix pour maquiller la reddition. Alors, cessons de travestir Dessalines : ce n’est pas lui qui a changé, c’est nous qui avons abdiqué.

