Depuis des décennies, Haïti entretient des relations diplomatiques privilégiées avec Taïwan, allant jusqu’à soutenir systématiquement Taipei dans les instances internationales. Pourtant, ce partenariat interroge : qu’en retire réellement Haïti ? Un allié qui ne peut pas vous épauler dans les moments critiques est, en pratique, un allié absent.
Cette situation illustre parfaitement la théorie de la dépendance, formulée par Raúl Prebisch et d’autres auteurs latino-américains. Selon eux, les pays de la périphérie — comme Haïti — demeurent liés aux pays du centre, recevant des aides ponctuelles sans véritable transfert de technologie ni renforcement des capacités internes. Ainsi, Haïti reste enfermé dans une dépendance structurelle où l’assistance internationale ne fait que reproduire les déséquilibres existants.
Récemment, Taïwan a offert quatre hélicoptères au Paraguay dans le cadre de leur coopération bilatérale. Dans le même temps, la semaine dernière, Taipei a annoncé un financement de trois millions de dollars américains pour le programme « Kore Pèp », via le Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), accompagné d’une promesse de quelques tonnes de riz pour Haïti.
Si ce geste semble louable, il ne s’inscrit cependant dans aucune stratégie cohérente de développement national. L’approche néo-institutionnaliste en relations internationales montre que sans institutions solides, même des financements importants risquent d’être mal orientés ou gaspillés — perpétuant la dépendance au lieu de la réduire.
Par ailleurs, Taïwan dispose d’une armée bien structurée et d’un secteur technologique avancé. Pourquoi ne pas appuyer Haïti dans le renforcement de ses capacités de défense, ou dans le transfert de savoir-faire industriel et agricole ? Continuer à traiter Haïti comme un « parent pauvre » constitue une insulte à l’intelligentsia nationale et révèle une asymétrie flagrante dans la relation.
Cette asymétrie trouve également son explication dans le réalisme politique : chaque État agit d’abord selon ses intérêts de puissance et de sécurité. Taïwan utilise ses relations avec Haïti pour consolider sa reconnaissance diplomatique face à la Chine continentale. Dans cette logique, il n’est pas dans son intérêt immédiat de transformer profondément son partenaire, car l’objectif premier est d’obtenir un soutien politique, non un co-développement.
En parallèle, Taïwan exerce en Haïti un soft power, au sens de Joseph Nye, en recourant à l’aide humanitaire, à des programmes sociaux et à des dons symboliques pour maintenir son influence — plutôt que par la force militaire ou des investissements productifs massifs.
Face à cette réalité, Haïti doit sérieusement réévaluer sa coopération avec Taïwan. La diplomatie contemporaine repose sur le principe du partenariat gagnant-gagnant, popularisé par la Chine continentale, qui met l’accent sur la réciprocité et les avantages mutuels. Si Taïwan ne peut — ou ne veut — offrir à Haïti un partenariat équilibré, Port-au-Prince devrait envisager d’autres options, y compris une ouverture à Pékin, dont la diplomatie offensive séduit déjà plusieurs pays africains et latino-américains.
En somme, l’analyse de la relation Haïti–Taïwan à travers les grandes théories des relations internationales met en lumière l’urgence pour Haïti d’adopter une nouvelle doctrine diplomatique : exiger des partenariats fondés sur l’égalité, le transfert de compétences et l’investissement productif — au lieu de se contenter d’une assistance ponctuelle qui nourrit la dépendance et affaiblit la souveraineté nationale.
Alceus Dilson
Communicologue, Juriste
alceusdominique@gmail.com