14 septembre 2025
L’installation du Comité National Haïtien de Restitution et de Réparation : un exemple emblématique de l’échec des élites haïtiennes
Actualités Politique

L’installation du Comité National Haïtien de Restitution et de Réparation : un exemple emblématique de l’échec des élites haïtiennes

Introduction

Le comité de pilotage de la conférence nationale et le conseil électoral provisoire ( CEP ) constituent les deux seuls organes déterminants mis en place par le CPT dans le cadre de la réalisation des cinq grands chantiers inscrits dans l’accord du 3 avril 2024.

Paradoxalement, le CPT crée un ensemble d’institutions qui n’ ont été prévues dans aucun texte de loi précédant sa création et qui n’apportent aucune contribution à la réalisation de sa mission principale. Parmi elles, une se distingue de par sa vocation et sa valeur historique. C’est le comité national haïtien de restitution ( CNHRR ).

Pour comprendre toutes les facettes
de la création du comité national haïtien de restitution et de réparation dans, il faut retracer, serait-ce de manière liminaire, les circonstances socio-politiques et diplomatiques qui lui ont donné naissance, tout en accordant une attention particulière aux causes et aux conséquences de l’échec des tentatives de célébration du bicentenaire de l’indépendance et de restitution et de réparation de la dette de l’indépendance d’Haiti.

Bref rappel des faits historiques qui ont abouti à la création du comité de restitution et de réparation (CNHRR)

En prélude à la célébration du bicentenaire de l’indépendance nationale en 2003, l’ancien Président Jean Bertrand Aristide lança pour la première fois le slogan « restitution et réparation de la dette de l’indépendance nationale », à grand renfort de publicité.

Cette initiative a été tuée dans l’oeuf par la classe politique et la société civile haïtiennes qui, à l’époque, s’étaient engagées dans un combat sans merci contre Jean Bertrand Aristide, en signe de protestation contre les résultats des élections de 2000 et sa gestion du pouvoir.

En 2013, la CARICOM qui a toujours été un allié du Président Aristide a mis sur pied la commission des réparations de la communauté caribéene, en vue d’encourager et de supporter les initiatives des pays de la région dans leur démarche visant à obtenir réparation pour les torts et les injustices historiques subis pendant la période coloniale.

Le 29 juillet 2024, le conseiller président Edgard Leblanc-Fils prononça un discours sur la restitution et la réparation à la 47ème assemblée générale des chefs d’Etat et de gouvernement qui a eu lieu à Grenade. Suite à son intervention, le chancelier haitien a, dans une note diplomatique datée du 5 août 2024, fait part au secrétaire général de la CARICOM de la désignation du recteur Fritz Deshommes pour représenter Haïti à la commission des réparations de cet organisme régional.

En avril 2025, à l’ occasion du bicentenaire de l’indemnité des 150 millions de Franc imposés à Haiti par la France pour la perte des propriétés, incluant ses esclaves d’ Afrique et la reconnaissance de l’indépendance nationale, la CARICOM a réitéré son soutien au peuple haïtien dans sa lutte en faveur de la restitution et de la réparation de la dette de l’indépendance.

En cette circonstance, elle souligne haut et fort les effets négatifs de cette injustice historique que représente la dette de l’indépendance d’Haiti sur son développement, tout en insistant sur la situation humanitaire qui y prévaut actuellement. Elle en a profité pour lancer un vibrant appel à la communauté internationale, en vue de venir en aide au peuple haïtien.

Dans la même veine, il faut rappeler également le rôle crucial joué par la CARICOM dans les négociations ayant abouti à la mise en place du CPT en avril 2024. Bizarrement, cet organe qui réunit tous les secteurs de la vie nationale est dominé en grande partie par le secteur Lavalas et le secteur privé des affaires.

Le 17 avril 2025, dans un discours prononcé à l’occasion des deux cents ans de l’ordonnance du roi Charles X, reconnaissant l’indépendance d’Haiti, le President Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’une commission mixte Franco-haïtienne d’historiens, en vue de faire la lumière sur les faits historiques se rapportant à la controversée question de la dette de l’indépendance d’Haïti.

Le 8 septembre 2025, donnant suite à la recommandation solennelle du Président Macron, le conseil présidentiel de transition a installé le comité national haïtien de restitution et de réparation ( CNHRR ).

Dans son allocution de circonstance, le président du CPT, Laurent Saint Cyr, a souligné la dimension historique de cette initiative: «Par cette décision, l’État haïtien vous confie une responsabilité sans précédent : rappeler au monde que la justice réparatrice n’est pas un luxe, mais une nécessité ».

Le CNHRR est constitué de 21 membres, dont un représentant de la présidence, un de la primature, un du ministère de l’économie et des finances, un du ministère des affaires étrangères, cinq représentants de la société civile et douze personnalités issues du monde académique et scientifique d’Haïti et de l’étranger.

Au nombre de ces personnalités, il faut noter la présence du recteur de l’université d’ Etat d’Haiti, M. Fritz Deshommes, du doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince, Me Eugène Pierre Louis, membre du groupe de travail sur la constitution dirigé par l’ancien Député Jerry Tardieu et du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Patrick Pierre Louis, également membre dudit groupe de travail et du professeur Camille Charlmoeurs, dirigeant du PAPDA.

Esquisse des causes du boycott des festivités marquant la célébration du bicentenaire de l’indépendance haitienne

Regroupés autour d’une structure politique dénommée: la convergence démocratique, les partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile ont, sans le moindre état d’âme, décidé de boycotter les festivités marquant le bicentenaire de l’indépendance nationale.

Malgré toutes les mesures de sécurité prises par le pouvoir en place pour faciliter le déroulement des activités commémoratives du bicentenaire de l’indépendance de la première nation nègre libre de l’histoire de l’humanité, elles ont été boycottés.

Cet événement auquel avait pris part le Président sud africain, Thabo Mbeki, allait, sans crier gare, prendre fin dans un concert de tirs nourris revendiqués par les rebelles du front de résistance nationale, commandé par l’ancien commissaire Guy Philippe. Pour êchapper aux assauts de ce groupe paramilitaire et éviter un bain de sang, les deux seuls chefs d’ État présents à cet événement ont été évacués en catastrophe dans un hélicoptère.

Deux raisons fondamentales étaient à la base de l’échec de la commémoration du bicentenaire de l’indépendance nationale: l’intransigeance des partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile et le caractère démagogique de la démarche du pouvoir en place.

En effet, pour la classe politique, la société civile et une grande partie de la population, le régime Lavalas n’avait ni la légitimité politique, ni la capacité technique nécessaire pour entreprendre une telle initiative. Elles évoquent plusieurs arguments pour justifier leur position:

D’une part, elles affirment que le slogan  » restitution et réparation  » lancé par Aristide n’était qu’une distraction politique visant à attirer la sympathie de la population et à casser l’ élan des manifestations qu’elles organisaient contre lui pour le forcer a démissionner.

D’autre part, elles remettent en question la sincérité d’Aristide, en soutenant que le pouvoir en place n’avait initié aucune démarche formelle, en vue de transformer son slogan  » réparation et restitution » en actions politiques et diplomatiques formelles et concretes.

Fort de tout cela, la trêve politique sollicitée par le leader spirituel du mouvement Lavalas pour faciliter la célébration de cet événement patriotique exceptionnel n’ aura pas été observée par les partis politiques et la société civile. Pour eux, elle participe d’ une stratégie visant à mettre fin, sinon ralentir, l’élan des mouvements subversifs entrepris contre lui.

La suite des évènements alla donner raison à la classe politique et à la société civile. Le 29 février 2004, sous la pression des rebelles du front de la resistance nationale ( FRN ) qui menaçaient de prendre la capitale d’assaut en vue de déloger Aristide du palais national, il fut contraint de laisser le pays à bord d’ un avion américain.

La postérité retiendra que les acteurs politiques et la société civile n’ ont pas eu le recul nécessaire pour transcender leurs différences et placer la célébration du bicentenaire de l’indépendance nationale, ensemble la restitution et la réparation de la dette de l’indépendance d’Haiti au rang des intérêts supérieurs de la nation.

Le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti et le bicentenaire de la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par la France: deux bretelles historiques ratées par nos élites sur la route de la restitution et de la réparation

L’attitude des acteurs politiques et de la société civile à l’égard du bicentenaire de l’indépendance nationale exprime l’état d’une société en décomposition, où les enjeux des luttes de pouvoirs imprègnent la conscience collective d’ une population amnésique et manipulée.

Ces enjeux qui mettaient face à face la convergence démocratique et le pouvoir Lavalas ont fait perdre au pays trois grandes occasions:

D’une part, les acteurs politiques et la société civile ont loupé le privilège historique qui leur était offert de célébrer dignement le bicentenaire de l’indépendance nationale. En effet, plusieurs pays africains, de la caraibe et de l’Amérique latine étaient très déçus de la manière dont s’étaient déroulées les festivités marquant cet événement séculaire.

D’autre part, ils ont loupé l’opportunité qui leur a été offerte de conférer une dimension planétaire à la célébration du bicentenaire de l’indépendance nationale et de renforcer, ainsi, les chances de succès de l’Etat haïtien dans son combat en faveur de la restitution et de la réparation de sa dette d’indépendance.

plus que les haitiens, eux-mêmes, les pays africains attendaient ce moment symbolique pour rendre un hommage bien mérité à Haïti, en signe de reconnaissance pour son inestimable contribution à la lutte pour l’émancipation de la race noire et aux mouvements de libération nationale.

En offrant au monde entier ce spectacle hideux et piteux, la classe politique et la société civile haïtiennes ont profané le bicentenaire de l’indépendance qui, pourtant, appartient au patrimoine de l’humanité.

La génération actuelle n’est peut-être pas consciente des séquelles de cette bévue historique monumentale sur la conscience collective nationale, mais les générations futures continueront, longtemps encore, à en payer la rançon.

Enfin, ils ont loupé le momentum que leur avait offert la célébration du bicentenaire de l’indépendance et l’initiative de restitution et de réparation de la dette de l’indépendance pour lancer la conférence nationale que ne cessait de prôner le feu Turneb Delpé, l’un des leaders influents de l’opposition à l’époque.

En effet, les élites haïtiennes, qu’elles soient politique, économique ou intellectuelle, auraient dû profiter du pouvoir de convocation de ces événements exceptionnels pour mobiliser la nation autour d’un nouveau projet de société sincère, légitime, consistant et axé sur des valeurs nationalistes.

22 ans après, les acteurs politiques et la société civile reconnaissent enfin le bien fondé de la démarche de restitution et de réparation de la dette de l’indépendance d’Haiti par la création du CNHRR. J’assimile cet acte à ce que j’appellerais une reconnaissance tardive de mémoire. Mieux vaut tard que jamais, dira peut-être l’autre.

Avec l’ entrée en fonction des membres du CNHRR, la classe politique et la société civile restituent à la dette de l’indépendance sa lettre de noblesse et font offrande de réparation pour avoir sacrifié le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti sur l’autel des enjeux des luttes de pouvoirs.

Force est de reconnaître que la participation de presque tous les partis politiques et de presque tous les secteurs de la société civile à la formation du CPT traduit, en quelque sorte, l’hypocrisie et l’opportunisme des élites haïtiennes. Ils assument tacitement leur mauvaise foi et leur profond mépris pour l’intérêt national.

La mise sur pied du CNHRR atteste enfin que les privilèges et les avantages personnels sont les vraies causes des crises et de l’instabilité politique en Haïti. En ce sens, l’effritement des valeurs civiques et l’effondrement de l’État haïtien ne seraient qu’une conséquence logique de l’échec des élites haïtiennes.

En prenant l’initiative de créer cette commission mixte Franco-haïtienne, personne ne sait quel est le degré de sincérité ni du gouvernement français ni du CPT, vu qu’ elle est appelée à prendre naissance dans un contexte où les dirigeants des deux pays sont très discrédités aux yeux de leurs concitoyens.

Il est difficile d’anticiper ses résultats, vu que ceux-ci sont, en grande partie, tributaires de la sincérité du gouvernement français et de la dynamique des relations diplomatiques et des enjeux géopolitiques.

Cependant, on peut dire avec certitude, que sa mise en place n’apporte aucune contribution aux vrais problèmes du pays, notamment la mentalité des secteurs vitaux de la vie nationale et de la population et la polarisation de la société haïtienne.

Comme en 2003, la classe politique et la société civile, réunies, cette fois-ci, autour du conseil présidentiel de transition, n’ont, pas su saisir le momentum que leur offre la déclaration du Président Macron pour lancer la conférence et la réconciliation nationales.

Malgré la mise en place du comité de pilotage de la conférence nationale, celle-ci n’a jamais trouvé la consécration du CPT. Quant à la commission vérité, justice et réparation prévue dans l’ accord du 3 avril 2024, elle a été créée, mais jamais installée. Le CPT sollicite sur le plan international ce qu’ il refuse à ses citoyens sur le plan national.

La stratégie de concilier la conférence nationale et le combat pour la restitution et la réparation de la dette de l’indépendance, aurait pu avoir des impacts positifs non seulement sur la réussite du CNHRR, mais aussi sur la reconstruction du tissu social, ruiné par tant d’épreuves douloureuses et de contentieux historiques non réglés. Ces derniers laissent des plaies béantes qui saignent encore.

Le rappel des faits historiques qui ont présidé à la création du CNHRR et qui ont provoqué le boycott des activités commémoratives du bicentenaire de l’indépendance nationale permet de lever le voile sur les vraies causes des crises politiques qui se posent en obstacle au processus démocratique.

Il facilite également une meilleure compréhension des motivations réelles des luttes de pouvoirs auxquelles se livrent les acteurs politiques et ceux de la société civile haïtiens, mais ne doit pas être perçu comme une extension des luttes de pouvoirs. Il est un appel à une réflexion plus profonde sur la responsabilité des élites haïtiennes, toutes catégories confondues, dans la crise actuelle.

Dans cette perspective, la démarche qui consiste à fustiger uniquement les élites politiques ne serait qu’une habile stratégie de manipulation de l’opinion visant à maintenir le statut quo. Car, à bien y regarder, les élites intellectuelle et économique sont les vrais gardiens du système qu’elles dénoncent.

Ce sont elles qui influencent le choix des dirigeants ainsi que les grandes décisions de l’ Etat. Dans certains cas, elles le font sous des formes voilées, dans d’autres, elles le font à visière levée. Cependant, elles sont nos élites. Nous ne pouvons pas les détruire, ni les minimiser.

De même, elles ne peuvent s’innocenter, ni lâcher prise. Elles n’ ont d’ autres choix que de se ressaisir et d’assumer leur responsabilité dans le processus de reformatage de la conscience collective nationale.

Conclusion

Le CNHRR, indépendamment des visés politiques, voire politiciennes, des autorités qui ont pris l’initiative de le mettre sur pied, est constitué d’haïtiens et d’haitiennes, pour la plupart des professeurs et des universitaires. Ce seul fait aurait dû suffir pour rassurer les plus sceptiques sur sa sincérité et ses chances de réussite dans cette noble et difficile mission.

Toutefois, pour réussir cette bataille diplomatique, les membres du CNHRR devront faire face à un ensemble de contraintes, notamment: les déficits de souveraineté et de légitimité de l’Etat haïtien, la faiblesse de notre diplomatie et, surtout, la polarisation de la société haïtienne.

Au-delà de tout ce qui a été déjà dit, la création du CNHRR atteste que la confusion entre l’État et la societe civile est, en un certain sens, une forme de conspiration des élites contre la population. Pourtant, le sauvetage national ne viendra pas des accusations individuelles, sectorielles ou claniques, mais d’une répentance collective dont elles sont encore l’épine dorsale.

12 septembre 2025

Ancien Sénateur Kedlaire Augustin.

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