24 octobre 2025
Pourquoi les dirigeants haïtiens détestent-ils autant leur propre pays ?
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Pourquoi les dirigeants haïtiens détestent-ils autant leur propre pays ?

L’Edito du Rezo

Gouverner contre la République ? Réflexion sur la désaffiliation des « dirigeants » haïtiens. Dans tout État de droit, l’urgence ne saurait justifier l’abrogation de la légalité.

Le cas haïtien manifeste avec une netteté inquiétante, une dérive institutionnelle persistante : nombre de dirigeants politiques, loin de s’ériger en garants du bien commun, adoptent des comportements et des discours qui s’opposent frontalement aux intérêts fondamentaux de la nation. Alors même que l’exercice du pouvoir devrait reposer sur la légitimité démocratique, l’intégrité des institutions et l’attachement indéfectible à l’ordre constitutionnel, force est de constater une normalisation de la transgression, une instrumentalisation opportuniste du droit et une désinvolture préoccupante à l’égard des principes républicains. Nulle part ailleurs, ou du moins très rarement dans les États respectueux de leur souveraineté, ne voit-on des responsables de haut rang — parfois non investis selon les procédures légales — affirmer, en contexte international, leur volonté de contourner ou de suspendre les normes constitutionnelles au profit de réformes extralégales, fréquemment engagées en dehors de toute consultation populaire et en l’absence de validation parlementaire.

Ce contournement répété de la volonté souveraine interpelle directement sur un point de légitimité démocratique majeur: quand, pour la dernière fois, le peuple haïtien s’est-il lui-même prononcé pour exiger une nouvelle Constitution ? À la suite de quels débats, de quelles consultations, de quelle crise de légitimité explicite ? Aucun processus participatif sérieux n’a permis de conclure à une demande collective de refonte constitutionnelle. Or, ce même peuple, dans un élan de lucidité historique, avait voté massivement le 29 mars 1987 pour une Constitution qui institue, avec force et clarté, des mécanismes de verrouillage juridique contre toute velléité de retour à l’arbitraire, à l’autoritarisme ou à la dictature. Cette architecture constitutionnelle, issue des traumatismes du passé, n’a jamais été formellement désavouée par le corps électoral. C’est donc en contradiction avec cette mémoire politique et juridique que certains, des apatrides, des mercenaires, des Conzés, des vendeurs de conscience… tentent aujourd’hui, depuis les sphères du pouvoir ou sous impulsion étrangère, de substituer au texte de 1987 une nouvelle charte, sans mandat populaire et sans légitimité parlementaire.

Ce phénomène traduit un effritement progressif de l’architecture institutionnelle et des repères normatifs qui la sous-tendent. L’exemple le plus significatif est la remise en question répétée de la Constitution du 29 mars 1987, notamment par l’annonce de projets de réforme par voie référendaire — une procédure pourtant explicitement prohibée par l’article 284.3 de ladite Constitution. Ces déclarations, émises dans des enceintes diplomatiques, doivent être appréhendées avec la plus grande attention en raison de leur impact potentiel.: elles entérinent une mise à distance du cadre juridique, comme si l’ordre normatif pouvait être suspendu au nom d’une urgence politique autoproclamée. Or, dans tout État de droit, l’urgence ne saurait justifier l’abrogation de la légalité.

Cette situation dépasse la simple incohérence politique pour constituer un divorce ouvertement assumé entre l’élite au pouvoir et la structure constitutionnelle de l’État. Ce type de posture équivaut à une abdication du devoir de loyauté institutionnelle. Car comment expliquer que des acteurs occupant de hautes fonctions publiques — et jouissant de ce fait de prérogatives, de privilèges et d’une reconnaissance symbolique — puissent agir avec une telle désinvolture à l’encontre de l’édifice normatif dont ils tirent pourtant leur autorité ? Cette contradiction appelle un diagnostic plus large : l’État haïtien est aujourd’hui pris dans un cycle où l’impunité, la désinstitutionnalisation et le désengagement patriotique se renforcent mutuellement.

La facilité avec laquelle ces dérives sont exprimées dans des forums bilatéraux ou multilatéraux témoigne d’un désengagement profond vis-à-vis des principes républicains. Il ne s’agit plus simplement de gouverner en marge du droit, mais de déployer une diplomatie du renoncement, où les engagements pris à l’international cessent de refléter les priorités du peuple haïtien pour se muer en instruments de légitimation de processus d’exception. Cette stratégie, assimilable à une externalisation progressive de la souveraineté nationale, affaiblit davantage l’autorité morale de l’État et renforce la défiance d’une population déjà profondément marquée par les abus répétés du pouvoir.

Au regard de ce diagnostic, la restauration des principes constitutionnels s’impose comme une condition sine qua non à toute sortie durable de la crise institutionnelle. Haïti ne saurait espérer surmonter son impasse qu’à travers un retour rigoureux à la légalité, une refondation sincère du pacte républicain et l’instauration d’une exigence éthique renouvelée quant à la conduite de ses dirigeants. Un État dont les élites renient les assises juridiques fondamentales s’engage inévitablement sur la voie de la désagrégation politique et sociale.

Nombreux sont, parmi les dirigeants actuels, ceux qui, en toute lucidité, n’avaient jamais imaginé accéder aux plus hautes sphères de l’État, et ce malgré parfois un parcours intellectuel honorable. Cette ascension imprévue aurait pu être l’occasion d’un sursaut civique, d’un engagement sincère en faveur du bien commun. Pourtant, nombreux sont ceux qui, une fois en fonction, adoptent des comportements qui évoquent moins la conscience d’État que le réflexe servile du parvenu. Comment expliquer, dès lors, que ces responsables se comportent comme des esclaves mentaux, enfermés dans une logique d’assujettissement symbolique, davantage préoccupés par la conservation de privilèges personnels que par la défense des intérêts nationaux ? Cette posture alimente une crise morale autant que politique, où l’indignité se dissimule derrière le protocole, et où l’exercice du pouvoir devient l’expression d’un complexe, non d’un projet.

Par ailleurs, une République trahie par ceux-là mêmes qui en ont la charge ne peut prétendre ni à la légitimité auprès de ses citoyens ni à la crédibilité aux yeux de la communauté internationale, même lorsque cette dernière feint d’ignorer qu’elle traite avec des acteurs corrompus, compromettant ainsi la souveraineté nationale, prêts à courber l’échine pour des intérêts étrangers ou des bénéfices dérisoires. Face à ce constat, il devient difficile d’éluder cette interrogation : dans quelle mesure ces comportements sont-ils influencés par des facteurs tels qu’un visa permanent, une double nationalité, l’hébergement de proches à l’étranger, ou le prix exorbitant d’un poste occupé par des individus dont la moralité, comme le cas tristement célèbre de Sweet Micky, laisse à désirer ?

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