La crise du dollar en Haïti : un marché de dupes entre trois acteurs où le peuple est le dindon de la farce

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Lundi 29 aout 2022 ((rezonodwes.com))–

Selon l’économiste Fritz Jean dans son livre  » la fin d’une histoire économique », nous vivons actuellement une autre ère économique depuis plus d’une décennie. C’est le passage de l’économie de « Rente » à l’économie se reposant essentiellement sur les transferts de la diaspora ce que j’appelle « l’économie du dollar ».

En effet, pour ce même auteur le début du 21ème siècle marque la fin d’une ère économique qui date depuis l’indépendance. Cette dernière se reposait, dans un premier temps, sur un système de rente de produits agricoles des paysans tout le long du 19ème siècle. En effet, la rente sur les terres agricoles sans l’utilisation de la technique ont pris fin rapidement. Cette situation de détérioration des terres cultivables a provoqué une réorganisation des acteurs économiques des provinces appelés alors « grandons » (Fritz Jean, 2016).  Qu’est ce qui s’est passé?

Dès la fin du 19ème siècle, les grandons de province ont migré vers Port-au-Prince pour intégrer le marché de l’import/export et de l’accumulation de richesse par clientélisme étatique. Dès lors, une bataille pour le contrôle du marché s’est déclenchée entre les grandons de provinces et les rentiers de la capitale. Ce combat s’est soldé par une défaite écrasante des grandons de provinces par les rentiers de Port-au-Prince qui ont une meilleure maitrise du terrain que leurs adversaires (Fritz Jean, ibid.). Cependant, cette victoire est de courte durée car d’autres adversaires plus redoutables ne se font pas attendre.

Le combat des rentiers de Port-au-Prince aves les Syriens pour le contrôle du bord de la mer de Port-au-Prince

La fin du 19ème siècle marque le début de la migration des peuples du moyen orient en Haïti notamment des syriens. Ces syriens, pour la plupart, n’ont pas pris le temps pour s’imposer comme des acteurs sérieux de l’économie de rente installée à Port-au-Prince. Défiés sur leur terre, les rentiers de Port-au-Prince appellent à l’aide de l’État pour casser la dynamique de concurrence des syriens dans l’économie locale. D’un autre côté, les syriens font appel aux américains pour leur venir en aide. Ainsi, l’occupation américaine et le régime des Duvalier ont permis aux syriens de remporter cette bataille pour s’imposer comme les nouveaux rois de l’économie de rente en Haïti. Selon un récent chiffre de la banque Mondiale pour mettre en lumière les inégalités en Haïti, on constate que 64% de la richesse du pays appartient à seulement 20 % des personnes les plus riches (juin 2022).

Cependant, Comme l’a fait savoir l’économiste Fritz Jean, l’économie haïtienne est aux antipodes du système capitaliste car elle ne favorise pas les structures de productions. En effet, la croissance vertigineuse de la population combinée avec la baisse quasi totale de création de richesses dans le pays ont occasionné la fin de cette histoire économique après plus de deux siècles d’existence (Fritz Jean, op. Cité).  Entretemps, comment les rentiers de port au prince arrivent-ils à se renouveler sur le marché économique ?

L’émergence de l’économie du dollar en Haïti

Dès les premières années de l’occupation américaine, une couche importante de la paysannerie a du s’émigrer ailleurs pour fuir le système néo-esclavagiste imposé par les occupants. Cette vague de migration va s’intensifier avec le régime des Duvalier dans les années 1960/1980 et la 3ème vague s’est développée  dans les pays latino-américains après le tremblement de terre meurtrière du 12 janvier 2010. En effet, le pays devient plus pauvre et l’aide internationale se raréfie. Le peuple haïtien est aux abois. L’économie est au bord de la catastrophe. Cependant, une  bouffée d’oxygène est venue de nulle part: il s’agit des « transfert de la diaspora ».

Depuis le début du 21ème siècle, on constate une montée importante des transferts de la diaspora chaque année. Estimé à plus de 3 milliards, selon les derniers chiffres de la BRH, (2021) les transferts de la diaspora sont devenus le moteur qui alimente l’économie haïtienne qui fonctionne essentiellement sur l’importation. Cependant, ce nouveau système du dollar crée de nouveaux enjeux et favorise la recomposition du marché local avec la montée en puissance de nouveaux acteurs clés dans le système: Les banques commerciales.

La fluctuation accélérée du dollar : Une manipulation organisée par trois acteurs

Depuis plusieurs années, on constate une reconfiguration du système économique en Haïti. Dans ce schéma économique, on peut observer une rotation des acteurs dans une alternance entre les rentiers de l’importation et le système bancaire. Plus loin, on va voir dans les coulisses d’autres liens tissés entre les dirigeants de la BRH et les deux autres acteurs cités plus haut. Pour comprendre ce schéma d’analyse, il suffit de regarder le parcours professionnel des principaux tenants de ces trois catégories d’acteurs. Si on regarde le profil des principaux importateurs et les responsables des banques en Haïti, on verra que ces différents protagonistes forment un cercle vicieux. Les membres des mêmes familles qui contrôlent les secteurs de l’importation ont des membres qui les représentent dans le secteur bancaire.  En effet, cet alliage entre l’Etat représenté par la BRH, les banques et les importateurs constitue l’axe du mal qui organise l’économie du dollar au détriment du peuple haïtien. On l’aura compris, dans les derniers chiffres d’affaires des banques en Haïti, l’achat et la vente du dollar donc le marché des changes représentent plus de 50% de leur profit (BRH, 2021). Or dans toute économie qui fonctionne, les banques commerciales font profit généralement grâce au système de crédit.  Donc, à travers ces chiffres on peut comprendre tout le poids du marché des changes du dollar sur notre économie et pourquoi il est aussi attisé et manipulé par ces trois acteurs.

Moïse Jean Charles serait-il un pion du système ou un simple populiste?

Pendant les deux dernières années soit de 2020 à 2022,  on a observé une montée spectaculaire du dollar suivi par la suite d’une baisse tout aussi extraordinaire après une politique d’injonction monétaire par la BRH. Pendant ces deux événements Moise Jean Charles en a profité pour construire une image d’homme du peuple en déclenchant à chaque fois la baisse du dollar par les banques. Est-ce une simple coïncidence ou une manipulation pure et simple ?

En effet, plusieurs hypothèses peuvent avancer pour expliquer cette situation mais selon nous, le plus crédible serait que cette fluctuation brutale du dollar est programmée par les trois acteurs cités plus haut. Donc, ils créent volontairement la rareté du dollar. Dès qu’ils ont accumulé le maximum de profit possible, la BRH rentre en scène avec une politique monétaire d’injonction du dollar dans l’économie alimentée arbitrairement par les transferts de la Diaspora. Ensuite, ces dollars extorqués seront liquidés à bas coût pour les banques et les importateurs. Une fois, les dollars sur le marché seront engloutis par ces derniers, le cycle montant du dollar va reprendre. Vous l’aurez compris, c’est un cercle vicieux, donc, le problème est loin d’être résolu. Il s’agit d’un marché de dupe. Et la monté/descente du dollar qu’on observe actuellement est le résultat de ce système planifié. Et comment Moise Jean Charles a pu anticiper la baisse du dollar à chaque fois ?

D’entrée de jeu, on est désolé de décevoir plus d’un mais Moïse Jean Charles n’est pas un prophète. En effet, la montée du dollar est le fruit d’une spéculation criminelle des acteurs orchestrée artificiellement sur une hypothétique rareté du dollar. De l’autre côté, la baisse observée du dollar était prévisible quand la BRH allait injecter ces 150 millions. Cependant, pour l’anticiper il fallait connaitre les plans de la BRH or seul le clan mafieux aurait accès à ces informations car la masse n’a rien pu venir sinon le peuple et les petits détaillants n’allaient rien acheter dans les magasins en gourde pour attendre cette baisse du dollar. On appelle cela en économie ou en entreprise  » Asymétrie de l’information » quand il y a une inégalité d’information entre les acteurs c’est à dire un groupe détient les informations vitales au détriment des autres. Dans le cas du dollar en Haïti, c’est le peuple qui est le dindon de la farce.

Donc, on l’aura compris, ce n’est pas la pression populaire ou les propos de Moise Jean Charles qui ont provoqué la chute du dollar ces dernier temps, c’est plutôt une manipulation pure et simple. La montée et la descente du dollar est mécaniquement organisé par les trois acteurs précités. De surcroit, cette fluctuation périodique du dollar est un autre moyen pour ces rentiers du secteur privé et de l’État pour dilapider une partie des transferts de la Diaspora et les pauvres consommateurs haïtiens. Cette situation ne va pas résoudre maintenant. On est désolé pour l’enthousiasme du peuple haïtien en constatant la baisse du dollar mais sache que cette baisse est de courte durée. Dès que les rentiers finissent par accumuler tous les dollars sur le marché, la montée vertigineuse du dollar ne serait que partie remise. Donc, la vraie question serait de se demander quand faudra-t-il attendre la prochaine montée du dollar ou du moins le troisième round ?

MATHE Vladimir Estefano, consultant en politique publique.

Vladimirm219@gmail.com

Sources 

Fritz Alfonse Jean, la fin d’une histoire économique, éditions pédagogie nouvelle, 2016.

Banque Mondiale : https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview

BRH: https://www.brh.ht/

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