« Romancero aux étoiles », de Jacques Stephen Alexis (Gallimard 1960)

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Jacques-Stephen Alexis tombe l’arme au poing ; Francis-Joachim Roy meurt à Paris, en exil ; Marie Chauvet meurt à New York, en exil ; Franck Fouché meurt à Montréal, en exil ; René Dépestre vit à La Havane, en exil ; Jean Brierre habite Dakar, en exil. C’est à l’étranger que se produit aujourd’hui la meilleure littérature haïtienne, qui ne peut souvent circuler en Haïti que sous le manteau.

A en juger par des œuvres telles que Le Nègre crucifié, de Gérard Etienne, et Mémoire en colin-maillard, d’Anthony Phelps, publiés au Canada en 1974 et 1976 respectivement, Romancero aux étoiles de jacques Stephen Alexis )1960), le réalisme et le populisme sous-tendent toujours l’engagement des écrivains haïtiens…C’est peut-être là ce que Jacques-Stephen Alexis pressentait lorsque, dès 1956, dans un article de Présence africaine, il appelait de ses vœux un « réalisme merveilleux » haïtien.

Léon-François Hoffmann,
Princeton University, New Jersey

Chronique d’un faux-amour de Jacques-Stephen Alexis évoque un climat d’érotisme obsessionnel et ambigu. Ce monologue intérieur s’organise suivant un réseau d’images symboliques: l’eau, les fruits, les variations de température, etc… A première vue incohérent, ce foisonnement repose en réalité sur un agencement métaphorique méticuleusement conçu. En marge de l’exubérance verbale qui, au premier abord, fait l’intérêt de la nouvelle, se retrouve une analyse psychologique implicite qui a pour point de départ l’absence de la mère et la fascination paternelle.

Dimanche 24 avril 2022 ((rezonodwes.com))–

Il ne s’agit pas ici d’un roman mais d’un recueil de contes prenant, pour certains, l’allure de nouvelles. Alexis utilise ce moyen d’expression littéraire plus populaire que le roman proprement dit sans doute pour toucher un hypothétique lectorat auquel insuffler, de manière à la fois ludique, récréative et cryptée, son message révolutionnaire militant, ce qui lui permet de s’exprimer sur le réel à travers l’artifice du merveilleux et de l’onirique véhiculés par le conte. Il faut aller chercher derrière l’allégorique, comme l’avait suggéré Philippe Décius, « ces vérités distillées dans un pays où la parole est suspecte »

Il est là bas, en Haïti, une misérable petite île où le soir, à la veillée, les « composes » et tireurs de contes joutent de verve sous les yeux écarquillés des enfants, sous les prunelles fatiguées mais radieuses des adultes. Ils chantent des rêves et des merveilles. C’est le neveu et disciple du Prince des « composes », l’élève conteur, l’écrivain lui-même, qui a voulu nous dire ces histoires.

Ce romancero est une suite de neuf histoires rapportées par le neveu d’un prince des composes. Le dit du Vieux Vent Caraïbe est une broderie sur des thèmes soit anciens soit modernes allant de la fable à la nouvelle.

Tout au long de ce Romancero aux étoiles pourtant, deux Sambas, deux conteurs, l’auteur et son maître le Vieux Vent Caraïbe, rivalisent d’invention en s’inspirant des contes de la tradition, de la légende du temps des grands Caciques – quand corossols, pommes-cajou, abricots fructifiaient pour tous -, du mythe de la Reine Anacaona (Dit de la Fleur d’Or), des fables de Bouqui et de Malice, pour arriver à la nouvelle moderne à quoi s’essaie Alexis, en bon élève ayant profité des leçons de la tradition orale. Véridiques et belles histoires ! Celle du Sous-lieutenant enchanté, Wheelbarrow, qu’une femme à la tumultueuse chevelure noire ensorcela ; celle de l’étincelante Chronique d’un Faux-Amour, véritable petit roman dans une pure veine fantastique, qui cède la parole à la plus jolie fiancée transformée en « zombie » au jour de ses noces.

Poésie parlée, fantaisie surnaturelle, humour insolite à géométrie variable et en trompe-l’oeil dans Le Roi des Songes, où la Trans-Dreaming-Air-Lines nous emporte vers une divine utopie…

Il s’agit avant tout, pour notre émerveillement, d’empêcher que les anciens récits ne soient oubliés, mais il s’agit aussi d’ajouter au patrimoine de nouvelles histoires, d’explorer de nouvelles voies qu’Alexis, dès 1960, tente pour la dernière fois de déchiffrer, mariant le réel au fantastique où l’art de jadis et de toujours s’adapte en souplesse à la réalité la plus moderne, celle de la Caraïbe d’aujourd’hui.

source: Étonnant Voyageurs
Mémoires de Léon-François Hoffmann
Babelio.com

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