Le cent-cinquantenaire de naissance d’Etzer Vilaire, prédicateur protestant (I)

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Haïti/Mémoire (7 avril 1872 – 7 avril 2022) | Le cent-cinquantenaire de naissance d’Etzer Vilaire, prédicateur protestant (I)

Par Idson Saint-Fleur

Jeudi 21 avril 2022 ((rezonodwes.com))– Etzer Vilaire est plus connu comme poète que prédicateur méthodiste. Pourtant, parallèlement à sa vie d’écrivain, à sa carrière d’enseignant et de professionnel du droit, il mène une vie religieuse très intense. Ses recueils de prédications en sont une preuve irréfutable, s’il en est besoin. Cependant, si Vilaire naît (7 avril 1872) et évolue dans une famille méthodiste à Jérémie, force est de constater qu’il ne se fait pas enrôler au saut du lit. Bien qu’il se baigne dès sa naissance dans un tel environnement religieux, il se rebiffe avec doigté contre l’endoctrinement. En fait, il ne se sent à son aise que dans la peau d’un libre-penseur (1). Son ami Numa Chassagne, analysant la dimension chrétienne de la vie de l’auteur des « Dix hommes noirs », aboutit à cette déduction :

« Etzer Vilaire fut un très grand chrétien. Son ascension à la vie chrétienne fut lente et sûre, selon le mot de l’empereur Auguste, il s’y hâta lentement (festina lente). Il y était parvenu après de profondes et fructueuses méditations : (sic)» (2)

Etzer Vilaire : de la crise spirituelle au zèle évangélique

Le professeur Rosny Desroches – lui aussi, prédicateur méthodiste – en dit autant de l’évolution spirituelle du poète. Cet illustre Jérémien est passé, méthodiquement, par les trois stades de la vie définis par le philosophe protestant, d’origine danoise, Soren Kierkergaard, à savoir « un stade esthétique où l’on jouit de la vie, un stade éthique où l’on recherche le bien moral et un stade religieux où l’on établit une relation avec l’Absolu, avec Dieu»(3). Ces trois attitudes imprègnent largement l’œuvre de Vilaire.

Etzer Vilaire connaît une crise spirituelle qui dure de 1897 à 1900. Une fois cette période de troubles intérieurs passée, il se met à étudier soigneusement la bible. « L’exégèse sacrée fut sa passion»(4).

Le 3 juin 1900, dimanche de la Pentecôte, l’Eglise méthodiste de Jérémie, sous le leadership du pasteur Henri Belloncle, accueille dans la communion chrétienne cinq jeunes hommes (d’autres sources mentionnent par erreur sept jeunes hommes) dont Etzer Vilaire, Edmond Laforest, Alain Clérié Fils. Ce dernier, organiste de talent, tout nouveau converti qu’il est, accompagne, en la circonstance, le chorale de l’Eglise dans un chant ayant pour titre : « Jésus, ami de mon âme ». Le sermon délivré à l’occasion par le pasteur Henri Belloncle ne vise qu’à renforcer la détermination de ces jeunes – enfants de la promesse – à s’engager résolument dans la vigne du Seigneur sans négliger pour autant leur devoir de prendre soin de leur famille et de servir passionnément leur pays.

Pour soutenir leur adhésion publique au protestantisme, ces « cinq nouveaux convertis » lancent une association baptisée : « Union chrétienne des jeunes gens » de Jérémie. Inaugurée le lundi 16 juillet 1900, cette Société, placée sous la présidence d’honneur du patriarche Alain Clérié – âgé de 82 ans, à l’époque -, et sous la présidence active d’Etzer Vilaire, cesse de fonctionner cinq mois plus tard. Certains commentateurs estiment que son caractère sectaire en est pour cause. Car, il est clairement stipulé dans les statuts que « – pour devenir membre actif on doit accepter Jésus-Christ pour son unique Sauveur, son Seigneur, son Dieu, et les Ecritures Saintes comme divinement inspirées, chercher sincèrement à mettre sa vie en harmonie avec ses principes ».(5)

Le dévouement religieux de Vilaire est tel que cinq mois après sa conversion, il préside, à la satisfaction de ses coreligionnaires, la Cinquième réunion missionnaire annuelle de l’Eglise wesleyenne méthodiste de Jérémie ; dans cette tâche, il est assisté du pasteur Henri Belloncle, de ses cousins Edmond Laforest et Alain Clérié Fils.

Dès 1903, Etzer Vilaire entre  dans la prédication l’évangile de Jésus-Christ avec zèle et passion. Il appelle ses auditeurs à se conformer aux vérités bibliques afin de pouvoir avoir accès à la cité céleste. Il n’oppose pas les deux mondes terrestre et céleste. Pour lui, « La vie future c’est donc la conséquence ou la continuation de la vie présente élevée à son apogée et dans ses conditions d’éternité»(6). Il pose des jonctions entre les deux mondes :

« La vision de l’éternité, loin de nous pousser à fuir ce monde, doit nous stimuler à y faire le plus de bien possible, à poursuivre un idéal héroïque, fait de pureté, de renoncement et de charité. Cet idéal de beauté morale ne tend pas seulement à façonner une conscience remplie de bonnes intentions mais entièrement inefficace. Cet idéal débouche sur l’action. Vilaire rappelle que Christ n’était pas un mystique béat mais un homme d’action. »(7)

Cette conception de la vie active le pousse à travailler au bien-être de sa communauté natale et dans le sens du bien national. Il prend position contre les gouvernements autoritaires et sanguinaires, il dénonce les abus d’autorité, les excès de pouvoir, la manipulation des couches défavorisées par les seigneurs de la guerre obsédés par la magistrature nationale et les auteurs de toutes les combines de l’enrichissement rapide et illicite. Aussi, il a en horreur ceux qui restent bouche bée devant les injustices, qu’elles soient faites à une personne ou à un groupe de personnes, ou tout un peuple.  

En 1920, à l’occasion de la publication des trois volumes des Œuvres complètes d’Etzer Vilaire, le critique Justinien Ricot produit la remarque suivante, l’une parmi tant d’autres :

« Mr (sic) a plusieurs cordes à sa lyre, d’une égale résonnance. Celles qu’il fait le plus souvent vibrer sont celles qui chantent Dieu et la Patrie ; pour ces deux religions il a des chants d’une profondeur d’expression étonnante (sic).»(8)

[A SUIVRE]

Bibliographie.-

  1. CHASSAGNE, Numa ; Etzer Vilaire (III) in « L’Action » du jeudi 26 juillet 1951, No. 260
  2. CHASSSAGNE, Numa ; op.cit.
  3. DESROCHES, Rony ; De la poésie à la prédication ou l’Itinéraire spirituel d’Etzer Vilaire in « Le Nouveau Monde » du vendredi 7 avril 1972, No. 1769
  4. CHASSSAGNE, Numa ; ibid.
  5. Le Nouvelliste du samedi 22 décembre 1900, No. 709
  6. DESROCHES, Rosny ; op.cit.
  7. DESROCHES, Rosny ; ibid.
  8. RICOT, Justinien ; Bibliographie. Poésies complètes. Trois volumes de Monsieur Etzer Vilaire in « Le Nouvelliste » du lundi 13 décembre 1920, No. 6609

Petite-Source (Zèb-Ginen), La Gonâve

Idson Saint-Fleur
saintfleuri14@yahoo.fr

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