Pourquoi Haïti, pays qui a fourni armes et navires avec soldats pour libérer la Grande Colombie, est-il si pauvre aujourd’hui ?

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Au XVIIIe siècle, Haïti, dans les plantations d’esclaves, produisait 60 % du café et 40 % du sucre consommés en Europe.

Aucune banque internationale n’a jamais effacé un seul centime de la dette extérieure astronomique que Papa Doc et Baby Doc ont léguée à Haïti.

Mercredi 5 janvier 2022 ((rezonodwes.com))–L’assassinat de l’ancien président Jovenel Moise, le 7 juillet dernier, a placé le pays au centre de l’actualité internationale qu’un séisme est venu après renforcé ensuite ajouté au spectacle hideux que le Premier-ministre nommé par les Blancs, Ariel Henry, a renforcé avec sa présence indésirable dans la Cité de l’Indépendance.

Au fil des événements qui ont entouré cet assassinat, l’extrême fragilité des institutions haïtiennes, la précarité de son économie et la faiblesse de ses institutions politiques sont une fois de plus devenues évidentes.

Un grand nombre d’analystes internationaux qualifient Haïti d’État en faillite avec des gouvernements de doublure.

La naissance d’une République

Inspirés par les principes de la Révolution française de 1789, quelque 800 000 esclaves haïtiens se sont soulevés en 1791 contre les troupes françaises et, après 13 ans de guerre, le 1er janvier 1804, Haïti a déclaré son indépendance. La France n’a jamais pardonné à Haïti une telle offense.

Au XVIIIe siècle, Haïti produisait 60 % du café et 40 % du sucre consommés en Europe, dans les plantations d’esclaves. Au moment de l’indépendance, le pays a subi un dur embargo commercial et un blocus diplomatique. La France a imposé une dette de 90 millions de francs-or, soit l’équivalent de 21 milliards de dollars au début du siècle. Pendant des décennies, le gouvernement haïtien a dû consacrer jusqu’à 80 % de son budget au paiement de la dette envers la France, qui a été remboursée en 1947, au prix d’un lourd tribut au développement humain.

Haïti a fourni à Simón Bolívar sept navires avec des soldats et des armes pour les luttes d’indépendance de la Grande Colombie, en échange de l’abolition de l’esclavage des peuples afro-descendants. Les partenaires de Bolívar dans l’entreprise d’indépendance ont refusé d’honorer cette promesse et ont même empêché la Grande Colombie de reconnaître Haïti comme un pays indépendant, alors que la France et l’Espagne l’avaient déjà fait.

Sous la pression des États-Unis, lors du Congrès de Panama en juin 1826, l’existence de la première république indépendante d’Amérique latine ne peut pas non plus être reconnue diplomatiquement.

En 1864, lorsque le président des États-Unis de l’époque, Abraham Lincoln, a signé la déclaration d’émancipation des esclaves, il a procédé à la reconnaissance officielle de l’existence d’Haïti.

La malédiction du 20ème siècle

Les gouvernements haïtiens n’étant pas toujours en mesure de générer les ressources nécessaires au remboursement de la dette envers la France, ils ont dû recourir à des prêts, parfois à des taux d’intérêt usuraires.

Jusqu’au mois de juillet dernier, le seul assassinat de l’histoire haïtienne avait été commis le 28 juillet 1915, lorsque le président haïtien de l’époque, Jean Vilbrun Guillaume Sam, a été lynché. En réponse, le président américain de l’époque, Woodrow Wilson, a ordonné à 300 marines, déjà dans la rade du Cap-Haïtien, d’envahir le pays, entre autres pour garantir le recouvrement des prêts que la Citibank avait consentis dans le passé aux gouvernements antérieurs. L’invasion a duré jusqu’en 1934.

En 1957, à la galerie d’infamies dictatoriales de la guerre froide, les États-Unis ont ajouté deux noms lugubres. François Duvalier, connu sous le nom de Papa Doc, dirigeait le pays d’une main de fer, encourageant l’ignorance et la superstition.

À sa mort, son étrange fils Jean Claude Duvalier, plus connu sous le nom de Baby Doc, a pris le pouvoir jusqu’à son renversement en 1986. Pour son exil doré en France, Baby Doc a emporté avec lui, selon les estimations internationales, une fortune de 900 millions de dollars à l’époque.

Aucune banque internationale n’a jamais effacé un seul centime de la dette extérieure astronomique que Papa Doc et Baby Doc ont léguée à Haïti.

L’esclavage déguisé au 21e siècle

La chute des Duvalier aurait dû ouvrir une ère de démocratie et de développement humain pour Haïti, mais le pays a souffert de stagnation.

En septembre 1994, les États-Unis sont intervenus militairement en Haïti pour forcer la junte militaire à quitter le pouvoir après un coup d’État contre le président élu Jean-Bertrand Aristide.

Dix ans plus tard, quelque 10 000 soldats de la paix des Nations unies ont envahi Haïti pour soi-disant le stabiliser. Les scandales liés à la présence des casques bleus comprennent le viol et la prostitution forcée de plus de 2 000 femmes haïtiennes, ainsi que la propagation du choléra par les casques bleus à la population du pays des Caraïbes, qui a fait plus de 10 000 morts.

Le 12 janvier 2010, un séisme brutal a frappé Haïti, faisant plus de 300 000 morts. La solidarité internationale a permis de réunir plus de 9 milliards de dollars pour la reconstruction du pays. Cependant, une très petite partie de cet argent a effectivement atteint le peuple haïtien. Selon les estimations de la chaîne de radio américaine NPR, seuls 0,9% des fonds sont parvenus au gouvernement haïtien et 0,6% sont allés à des organisations sociales haïtiennes. La grande majorité des fonds a été dilapidée, détournée ou embourbée dans de multiples processus bureaucratiques, tant par les pays donateurs et les agences de mise en œuvre que par la propre corruption du gouvernement haïtien. Certains donateurs préféraient avoir leur propre système d’appel d’offres et garder leurs opérations sur le terrain en Haïti séparées de celles des autres donateurs.

Un autre scandale majeur qui a secoué Haïti est celui de Petrocaribe. En 2005, le dictateur vénézuélien Hugo Chávez a offert du pétrole bon marché aux pays des Caraïbes en échange de l’utilisation des économies réalisées à l’achat du produit pour des projets sociaux. En Haïti, cela signifie que plus de 2 milliards de dollars ont fait l’objet de détournements, d’inepties et de corruption.

En effet, les protestations contre le gouvernement de l’apprenti-dictateur Jovenel Moise, qui menaçaient la stabilité de son mandat arrivé à échéance le 7 février 2021, ont été provoquées par la réaction populaire au scandale Petrocaribe.

Leçons pour une théorie du développement

Les deux siècles de vie indépendante d’Haïti sont marqués par le racisme international, le colonialisme français et américain, et la grande corruption des élites locales qui ont bien servi les puissances coloniales. Aucun pays au monde ne s’est développé sans ses propres institutions. S’il est bien vrai que la population haïtienne a besoin de nourriture, d’eau potable, d’installations sanitaires, d’éducation et, surtout, d’une économie viable, Haïti a besoin de toute urgence d’un système politique sain, stable et transparent, avec un système judiciaire qui fonctionne et un contrôle efficace des finances publiques.

La nouvelle conjoncture de la crise politique haïtienne actuelle nous oblige tous à faire un mea culpa, prendre nos propres décisions et demander des comptes aux gouvernements. L’extrême pauvreté n’est pas une cause de la mauvaise gouvernance, elle en est le résultat.

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