Le Point | Haïti : « Le pouvoir ne peut pas lutter contre l’insécurité qu’il a contribué à créer »

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TRIBUNE. – Le journaliste et éditeur haïtien Sadrac Charles dénonce l’ingérence internationale qui maintient des dirigeants corrompus à la tête d’un pays sombrant dans la violence et la peur.

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Par Sadrac Charles

Mon propos est clair : dénoncer, sans ambages, la situation gravissime infligée au peuple haïtien, refuser la désinformation et briser le silence qui cautionne le régime de terreur. Je veux témoigner ici de la tragédie que je viens de vivre pour que le monde sache, au travers de mon témoignage, ce qui arrive aux Haïtiens au quotidien, et qui est bien gardé sous silence. Un silence assourdissant.

Ma mère est morte en Haïti, après quasiment vingt-quatre heures passées, en vain, à appeler une ambulance pour éviter le pire. Elle ne sera pas transportée d’urgence à l’hôpital à la suite d’un AVC. Non, elle passera une nuit entière à gémir, à souffrir, à râler, à agoniser, comme me l’a décrit ma petite sœur sur place.

Et, le lendemain matin, toujours pas d’ambulance car le pays est paralysé après l’assassinat, par des gangs, de policiers qui manifestaient à juste titre. Parce que, parallèlement et comme tous les jours, les bandes armées font la loi dans les rues et que tout le monde a peur. Même les ambulanciers. Entre-temps, ma mère continue d’agoniser, puis elle meurt, le 26 janvier dernier. Mais le drame ne s’arrête pas là, comme si la mort de ma mère, qui aurait pu être évitée, ne suffisait pas.

Une question de vie ou de mort

Dans ce climat de peur permanente, les pompes funèbres sont elles aussi retardées dans l’exercice de leurs fonctions. Le mari de ma mère – mon beau-père –, dont la présence était indispensable pour l’organisation des funérailles, se trouvait dans une autre ville du pays.

Il décide de rentrer à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, pour effectuer les démarches administratives et participer aux funérailles. Son neveu, que mon beau-père a élevé, l’accompagne en raison de l’insécurité mais aussi pour participer à la cérémonie d’adieu en l’honneur de ma mère.

C’était sans compter avec la terreur omniprésente et sanguinaire qui ravage sans répit Haïti. Mon beau-père et son neveu ont été kidnappés, samedi 4 février, avec les autres passagers du bus parti de Port-de-Paix pour Port-au-Prince. Leur seul délit : avoir bravé le danger sans hésiter pour venir assister aux obsèques de ma mère, elle-même victime de la terreur, tombée dans le coma et décédée à son domicile faute de soins.

Les ravisseurs ont relâché mon beau-père, gardé son neveu et réclamé une rançon de 300 000 dollars à une famille qui n’a aucun moyen de réunir une telle somme. Il a finalement été libéré contre rançon. Dans mon histoire, où il est question de vie ou de mort, la famille s’est durement endettée pour payer les criminels. Voilà le quotidien des Haïtiens, voilà ce dont on ne parle pas.

Mondialisation de la misère

La « mafiocratie » a pris le contrôle. Haïti, terre pionnière de libération, terre de liberté, terre de modernité, terre d’avenir, succombe ! Et il n’y a plus d’avenir pour Haïti sans restaurer l’État de droit. Aujourd’hui, les trafiquants déciment le pays et le privent de son avenir dans l’indifférence et le déni des institutions internationales et européennes.

Aucun État ne semble prêt à sortir du déni de la réalité et à lutter contre ses propres mafias profitant du chaos. Le grand public n’est que peu informé de la situation. Sinon, chaque homme, chaque femme dirait à son gouvernement : « On ne vous a pas élu pour ça, pour laisser opprimer et détruire un autre peuple. »

Fermons les yeux, pinçons-nous le nez et laissons faire, on a d’autres problèmes à gérer… Est-ce donc ça ? Le silence, depuis toujours, sape les fondements de la démocratie sans cesse remise en cause par des despotes qui se pensent mieux éclairés que leurs sujets. Mais, dans les faits, nul besoin d’être une lumière pour constater que la mondialisation de la misère par la prédation a déjà commencé.

Ce que subit le peuple haïtien aujourd’hui n’est que la répétition générale de ce qui menace chaque peuple à l’avenir. Il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde pour comprendre. Peut-on vraiment continuer à nourrir la bête immonde qui menace nos droits humains ?

Le problème haïtien est d’abord un problème politique : cette suite de pouvoirs corrompus et illégitimes tolérés et maintenus par les institutions internationales et les pays occidentaux. Haïti réclame le départ de la clique au pouvoir pour la tenue d’élections honnêtes. Car cette clique ne peut pas lutter contre l’insécurité qu’elle a contribué à créer.

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